Interview de Gérard Besson
Interview de M. Gérard Besson, Professeur des universités, recteur de l'académie de Clermont-Ferrand, Chancelier des universités, jusqu'en 2012. Il a été auparavant président de l'université d'Orléans.
« Être recteur », c'est quoi ?
Le recteur représente le ministre de l'Éducation nationale et celui de l'Enseignement supérieur et de la Recherche dans une académie, qui correspond le plus souvent à une région. Il s'agit d'un poste à connotation politique au sens noble du terme. Le recteur travaille avec deux autres représentants de l'État, eux aussi nommés en Conseil des ministres : le préfet de région et le directeur général des finances publiques (autrefois Trésorier Payeur Général).
Un recteur est recruté pour exercer trois grandes missions et à ce titre il doit obligatoirement être :
- un pédagogue, porteur d'un projet d'enseignement qui s'articule autour de ce qui construit globalement la réussite des élèves ;
- un manager : la gestion des ressources humaines est essentielle. Pour exemple, dans l'académie de Clermont-Ferrand, je gère 23 000 personnes dont les salaires représentent 95 % de mon budget (soit 1,2 milliard d'euros) ;
- un gestionnaire, responsable de la bonne utilisation des finances publiques : même si je suis assisté d'un secrétaire général, quand il y a des décisions à prendre, je dois en imaginer les impacts. Compte tenu du nombre d'élèves et d'établissements, si je décidais d'augmenter les moyens pédagogiques de chaque établissement, et si je n'avais pas des notions précises du fonctionnement des finances publiques, il se pourrait que nous soyons en difficulté sur le plan financier global.
C'est donc un pédagogue, un directeur des ressources humaines, et un administrateur qui, compte tenu du fait qu'il est nommé en Conseil des ministres, mène la politique éducative décidée par le gouvernement. Localement, le recteur dispose toutefois d'une liberté de proposition et d'expérimentation.
Compte tenu du nombre de personnes à gérer, et du budget engagé, il est assisté dans sa tâche par de nombreux collaborateurs.
Quel est le rôle du recteur au niveau pédagogique ?
Le système éducatif français est national et plutôt bon mais, quand on l'analyse de manière précise, il laisse quand même quelques enfants sur le bord de la route. On sait qu'au niveau national entre 100 000 et 130 000 élèves quittent chaque année le système éducatif sans aucune formation ou qualification. Ce n'est pas acceptable dans un pays comme le nôtre. Un travail de fond est fait sur tous les aspects de l'échec scolaire, autour de l'illettrisme, par exemple.
J'insiste sur ce point : le sujet numéro 1 d'un recteur, c'est la réussite de l'élève. Le ministre ou le recteur n'ont de raison d'être que par ce qu'ils essayent de mettre en place pour tous les élèves même si on laisse parfois entendre qu'ils ne sont que de simples gestionnaires.
Je suis un recteur avec une certaine expérience qui constate toujours que cette fonction reste absolument passionnante et incomparable.
Comment faites-vous pour faire passer votre message pédagogique ?
J'ai autour de moi de nombreux collaborateurs, au premier rang desquels se trouvent les inspecteurs d'académie, DSDEN
(2) qui ont tout d'abord la responsabilité du premier degré.
Les chefs d'établissements, l'encadrement au sens large et les professeurs sont autant de relais. Tout ceci repose sur une organisation très hiérarchisée et subdivisée qui a fait ses preuves. Ce sont dans l'académie presque 250 000 élèves et étudiants qui font l'objet de notre attention.
Vous êtes également Chancelier des universités, quelles sont vos responsabilités ?
En tant que Chancelier des universités, j'ai une responsabilité très forte. Les dispositions de la loi « Pécresse » ont donné plus d'autorité aux présidents d'université, mais la partie « contrôle de légalité » et la partie financière sont sous ma totale responsabilité. Il existe maintenant un accord avec la DRFIP
(3) pour analyser techniquement les comptes des universités. J'ai également une responsabilité au niveau des emplois : je m'engage sur la « soutenabilité de l'emploi », donc dans une très large mesure sur la pérennisation de la masse salariale.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la gestion des ressources humaines ?
La richesse de l'Éducation nationale, ce sont les êtres humains qui la composent. Dans notre académie, cela représente 23 000 personnes, essentiellement des enseignants. Les autres acteurs sont des personnels administratifs, les services de santé, les services sociaux, par ailleurs incontournables pour la bonne marche de l'académie.
Il existe des situations complexes. Dans une cité scolaire, il est indispensable que tous les acteurs travaillent ensemble : collège/département, région/lycée, enseignement supérieur/État. Pour cela, il faut un certain sens politique de la négociation…
Je connais tous les personnels de direction qui se trouvent à la tête de chaque établissement (250 sur l'académie). Je les reçois très régulièrement, soit en groupe pour faire passer un message, soit individuellement quand ils ont des difficultés.
Cela fait partie de mes obligations de gestion des ressources humaines. Je dirai qu'ils forment le premier noyau relationnel entre le professeur, sa classe et le recteur. Ce sont des acteurs incontournables.
Enfin les corps d'inspection me permettent également d'avoir une connexion immédiate et précise avec ce qui se passe dans l'académie. Un mot-clé concernant la gestion de ces ressources humaines : la concertation.
Quels sont vos rapports avec l'administration centrale ?
Je dialogue avec le ministère de l'Éducation nationale en fonction de nos besoins, de nos projets et bien sûr de l'existant : c'est le dialogue de gestion qui a lieu au mois d'octobre, avant la loi de finances. Une fois la synthèse faite des données issues de toutes les académies, le ministère répartit les moyens sur toute la France.
Je vous rappelle que ce ministère, premier et second degrés seuls, représente 60 milliards d'euros (premier budget de la nation). L'académie de Clermont-Ferrand représente, quant à elle, 1,98 % de ce budget.
Vos relations se limitent-elles uniquement au ministre de l'Éducation nationale ?
Non, bien sûr. Il va de soi que c'est mon principal interlocuteur, avec la ministre de l'Enseignement supérieur. Mais je travaille également avec le ministre de l'Intérieur, quand il s'agit de sécurité, avec le secrétaire d'État aux Collectivités territoriales, pour les questions d'aménagement du territoire, avec le Garde des Sceaux pour celles de discipline. Quand des dispositifs particuliers sont mis en place, je peux aussi avoir à faire avec le ministère de la Ville ou celui de l'Industrie.
Et localement, comment cela se passe-t-il ?
Tous les mois est organisée une réunion importante, la conférence administrative régionale, où le préfet réunit les préfets de départements, les chefs de service de l'État. Y sont systématiquement invités le directeur général des finances publiques et moi-même. J'applique la politique mise en œuvre par le gouvernement.
Avec les collectivités territoriales et les élus (sénateurs, députés), les relations sont parfois plus délicates et lourdes de conséquences.
Mon souci numéro 1, c'est la réussite des élèves, mais certains élus privilégient davantage d'autres domaines, comme l'aménagement du territoire. Il en résulte parfois un dialogue un peu compliqué.
Quel est le rôle du secrétaire général à vos côtés ?
Il s'occupe davantage de l'ensemble de l'administration, mais il va de soi que je vois régulièrement tous ceux qui ont la responsabilité d'un service. Ce dispositif me fait gagner un temps considérable : tout cela est très bien organisé et fonctionne bien.
Qui, à vos côtés, gère toutes ces relations, autant en interne qu'en externe ?
C'est le directeur de cabinet qui est le « pendant » politique du secrétaire général et qui me seconde dans la gestion de toutes les tâches dont je vous ai parlé.
À quoi ressemble une journée de recteur ?
À une journée très remplie ! J'anime diverses réunions, de la mise en place concrète de la réforme du lycée à la présentation des grandes lignes de la politique académique aux stagiaires personnels de direction. J'écoute, je dialogue et bien évidemment il y a une somme de cas particuliers que je me dois de traiter personnellement. Pour exemple, il y a dans l'académie des élèves « à besoins pédagogiques particuliers », des élèves présentant donc des handicaps. Je m'implique pour que dans l'académie de Clermont-Ferrand nous mobilisions une énergie particulière sur ce sujet.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.