4. Identification du temps et du mode des verbes soulignés, avec justification de leur emploi
Les deux occurrences d'« était » sont conjuguées à l'imparfait de l'indicatif qui est utilisé ici pour la description dans un récit au passé.
Le verbe « avais porté » est conjugué au plus-que-parfait de l'indicatif. Il indique une action antérieure par rapport à une action passée.
Le verbe « approchent » est conjugué au présent de l'indicatif. Il fait référence au moment de l'énonciation et indique une habitude.
5. Identification de la phrase et commentaire de son emploi
« La plainte encore » est une phrase nominale. Elle est mise en relief par le passage à la ligne. Elle reprend la phrase « le gémissement reprit ». Ces deux occurrences sont reprises à la forme négative, « la hase ne gémissait plus » et « la bête ne se plaignit plus ». La mise en relief de ces phrases structure le récit : de la douleur de la hase à sa frayeur face au narrateur.
6. Usage de la ponctuation du discours rapporté
Le tiret et les guillemets sont les marques de ponctuation du discours direct. Dans le récit, ils permettent de signaler que le narrateur introduit un discours.
Le verbe « dire » annonce les paroles que le narrateur adresse à la hase. Elles sont signalées par le tiret à la ligne « — non, tu vois, quelqu'un souffre de ta souffrance… mais je peux encore te garder ».
En revanche, pour des paroles isolées, le narrateur les introduit directement après le verbe de parole « j'ai dit » suivi des deux points et des guillemets : « Et pourtant, moi… »
II. Lexique et compréhension lexicale
1. Le sens du mot « dolente » en contexte
L'adjectif « dolente » indique que la hase est dans un état de souffrance. En effet, elle est blessée. L'adjectif est repris par le substantif « douleur » qui appartient à la même famille de mots.
2. Nuances d'emploi et de sens des occurrences du mot « bête »
La première occurrence est une reprise anaphorique du mot « hase », le mot « bête » est utilisé en tant qu'hyperonyme avec l'article défini.
Dans la deuxième occurrence, il est également employé en tant qu'hyperonyme mais avec l'article indéfini, il renvoie alors à n'importe quel animal. Il est employé dans une comparaison.
Enfin, le narrateur l'utilise pour se qualifier lui-même afin de souligner qu'il croyait être parvenu à faire partie du règne animal.
3. Le lexique en lien avec le thème de la « pitié ».
Le narrateur exprime sa pitié envers la hase en décrivant sa souffrance : « toute dolente et toute éperdue », l'adverbe « toute » intensifiant le sens des deux adjectifs. Il insiste sur ses blessures : « blessée et déchirée dans sa chair vive ». Il utilise une comparaison pour souligner l'ampleur de sa souffrance : « la douleur était visible comme une grande chose vivante. ». D'autre part, il manifeste sa pitié avec le substantif « la pauvre » et les trois occurrences de la famille de mots « doux : Il la caresse « doucement » et choisit l'endroit « où la caresse est plus douce », lui parle « pour adoucir ».
III. Réflexion et développement
Dans la nouvelle « La grande barrière », publiée dans le recueil Solitude de la pitié en 1932, Jean Giono met en scène un narrateur qui découvre une hase blessée et ses petits tués par de corbeaux. Quand il tente d'apaiser la hase, il se rend compte qu'il la terrorise. Après avoir analysé comment le narrateur interprète la réaction de l'animal comme symbole de la frontière infranchissable entre l'homme de l'animal, nous nous demanderons si la nature de cette barrière s'applique toujours et dans quelle mesure elle peut être franchie.
Le narrateur se décrit comme « une bête d'entre elles toutes ». Il donne comme preuves les réactions des animaux qu'il croise. Ainsi, les lézards et les renards ne fuient pas devant lui : « moi que les renards acceptent ; et puis d'un coup ils savent qui je suis et ils passent doucement ». Les mésanges viennent même à lui : « moi qui sais parler la langue des mésanges, et les voilà dans l'escalier des branches, jusque sur la terre, jusqu'à mes pieds ». Il estime être parvenu à faire partie intégrante de la nature comme le souligne l'énumération, « par ce grand poids de collines, de genévriers, de thym, d'air sauvage, d'herbes, de ciel, de vent, de pluie que j'ai en moi ». C'est la raison pour laquelle la réaction de la hase le surprend et l'afflige. Alors qu'il veut la réconforter, lui témoigner sa pitié face aux « sauvages » corbeaux, la hase est terrorisée. Il interprète sa réaction comme une incompréhension de l'animal : « la bête mourait de peur sous ma pitié incomprise ». Les manifestations de sa pitié, ses paroles, ses caresses, ont l'effet inverse de leur intention : « ma main qui caressait était plus cruelle que le bec du freux ». Il fait de cette expérience le symbole de la « grande barrière » qui sépare l'homme de l'animal, frontière dressée par la violence ancestrale de l'homme envers les animaux : « il en a fallu de nos méchancetés entassées pendant des siècles pour la rendre aussi solide ». La peur suscitée par la cruauté humaine, devenue atavique, définit donc, selon Jean Giono, la relation de l'animal et de l'homme.
Cette « grande barrière » est toujours présente. Elle est maintenue par ceux qui considèrent, dans la tradition cartésienne, que l'homme est supérieur par ses capacités rationnelles et émotionnelles et que l'animal n'est que pur instinct, qu'il n'éprouve aucune émotion. L'homme peut ainsi l'utiliser comme machine à produire ce dont il a besoin : nourriture, objets. Il peut en faire l'objet de ses loisirs en l'enfermant dans des zoos ou des cirques. Cependant, ce rapport entre l'homme et l'animal est fortement dénoncé. La philosophe Élisabeth de Fontenay, affirme ainsi que l'animal est le paradigme de la victime : victime directe de l'homme par l'élevage intensif, le braconnage, victime indirecte de la déforestation et de la pollution, qui anéantissent son espace vital. La disparition d'espèces animales continue à s'accélérer. Des partis politiques se sont constitués autour de cette thématique et des lois ont été prises, en France, notamment pour interdire les animaux sauvages dans les cirques. La souffrance animale est désormais reconnue. Les artistes tentent également de nous sensibiliser à cette question. Dans Le Testament à l'anglaise, Jonathan Coe dénonce les conditions de vie des porcs dans les grandes structures d'élevage. Le film Gorilles dans la brume raconte le combat de Dian Fossey contre le braconnage des gorilles au Rwanda.
La « grande barrière » de Giono est également révélatrice de notre rapport anthropomorphique aux animaux. En effet, le narrateur qualifie les corbeaux de « vieux sauvages ». Il détourne l'adjectif de son sens premier pour souligner leur cruauté alors qu'il s'agit de leur mode alimentaire. En outre, quand il tente d'apaiser la hase, il le fait avec des moyens de communication propres à l'homme : la parole et les caresses. Alors qu'il parvient à rentrer dans l'altérité des mésanges, il ne considère pas la hase en tant qu'animal, mais en tant que mère blessée. Il interprète ainsi son interaction avec l'animal avec ses propres codes. Cette relation anthropocentrée est toujours ancrée dans notre imaginaire. Ainsi, dans Le vieil homme et la mer d'Ernest Hemingway, le marlin est représenté comme le double du pêcheur, ils luttent ensemble avec les mêmes codes d'honneur. L'animal est également utilisé comme révélateur du comportement humain dans les Fables de La Fontaine, par exemple. L'animal n'est donc pas appréhendé dans sa spécificité. Au quotidien, cette posture est particulièrement développée à l'égard des animaux domestiques. Cette posture est également responsable de la « grande barrière ».
En revanche, l'éthologie, qui étudie le comportement animal, nous invite à la franchir grâce à une meilleure compréhension de la spécificité du monde animal. Dans le même temps, elle met en lumière le continuum entre l'animal et l'homme, en révélant les capacités animales, comme celles de communication des abeilles. Le succès de La Marche de l'empereur, film documentaire sur les manchots, sans aucune présence humaine, souligne cet intérêt contemporain pour comprendre l'animal dans son milieu naturel, hors des concepts anthropocentrés. La récente adaptation cinématographique du roman de Jack London, L'Appel de la forêt, révèle également cet intérêt pour la représentation de l'animal hors de son rapport à l'homme.
La métaphore de la « grande barrière » de Jean Giono pose bien les fondements du questionnement sur la relation de l'homme et de l'animal : il doit porter sur le comportement des hommes envers les animaux et non l'inverse et plus largement sur sa place dans le monde.
Sujet corrigé réalisé par Cécile Vallée, professeure de Lettres au lycée et formatrice à l'INSPE.