Corrigé
Proposition de corrigé
Introduction
La loi de refondation de l'École de la République de 2013 promeut l'inclusion de tous les élèves, quels que soient leurs difficultés ou leurs besoins particuliers. Il s'agit donc de mettre en avant la réussite de tous et de reconstruire une école où chacun puisse trouver sa place, afin de trouver ensuite une place sociale en fonction de ses acquis et de la compensation de ses difficultés. La réforme de l'évaluation commencée en 2005 par la mise en place du socle commun a mis en lumière l'idée de compensation des inégalités, puisque les résultats scolaires ne sont plus seulement évalués de façon sommative, l'évaluation devenant aussi formative et allant plus loin dans la promotion de l'égalité des chances ; c'est d'ailleurs dans cette loi que cette notion apparaît comme pierre angulaire du système éducatif. Les compétences sociales, notamment, dont l'école se charge deviennent parties prenantes dans l'évaluation ; aussi, un élève dont les résultats scolaires seraient plus faibles qu'un autre mais qui aurait développé un ensemble de compétences citoyennes peut être considéré comme plus méritant qu'un autre, et pourrait ainsi bénéficier d'un ensemble de dispositifs d'aide afin de réussir également son parcours professionnel.
Mérite et égalité des chances sont donc intimement liés en raison des choix politiques qui ont conduit notre démocratie à fonctionner sur l'imbrication entre les droits libertés et les droits créances, ces derniers impliquant la compensation de certaines inégalités sociales. Or, l'un des moyens de compensation les plus importants de notre démocratie est l'école, elle apparaît donc comme le nœud où se jouent les carrières des individus, ce qui fait reposer sur ses acteurs d'énormes responsabilités.
Ainsi, dans la mesure où l'école en France est le berceau de la citoyenneté et du devenir de l'être social, comment parvient-elle à faire réussir tous les élèves en fonction de leur mérite tout en garantissant à chacun, malgré les inégalités de naissance et les accidents de parcours, une insertion sociale et professionnelle à la mesure de ses attentes ?
Dans un premier temps, nous reviendrons sur l'évolution de la notion de mérite en corrélation avec l'évolution des politiques sociales et scolaires, puis nous analyserons la montée de l'influence des inégalités sociales sur les parcours de réussite scolaire ; enfin, nous montrerons comment le CPE, parmi tous les membres de la communauté éducative, peut travailler à la réussite de tous les élèves et offrir à chacun ce qu'il mérite.
I. Le mérite, une notion complexe à définir
Le mérite est une notion complexe à définir. En effet, l'un des premiers paradoxes dans cette notion est celui de savoir sur quoi l'on s'appuie, et même de savoir si ce n'est pas une notion vide de sens. Le mérite s'analyse en termes de valeur, il s'agit de juger quelle est la valeur d'un individu ou de ses actes relativement à des normes sociales définies au préalable. Par exemple, lorsque, dans l'Éducation nationale, on distribue des bourses au mérite, celles-ci s'appuient sur des critères qui peuvent être rapprochés de ceux que l'État applique lorsqu'il classe un établissement en éducation prioritaire (taux de chômage des parents, taux de redoublement, taux de réussite aux examens, etc.). Un élève méritant est donc celui qui, par ses résultats scolaires, aura montré sa capacité à réussir malgré certaines contingences sociales ou personnelles. Notre système scolaire est ainsi organisé sur cette prise en compte du mérite, en témoignent par exemple les concours tels que l'agrégation créée par Napoléon Ier en 1808 pour l'enseignement secondaire. Pour autant, on ne peut se contenter de définir le mérite selon ces seuls critères. De ce fait, si l'on suit le Larousse, on peut le définir des manières suivantes : « Ce qui rend quelqu'un (ou sa conduite) digne d'estime, de récompense, eu égard aux difficultés surmontées ; ensemble des qualités intellectuelles et morales particulièrement dignes d'estime ; qualité louable de quelqu'un, quelque chose. » Il s'agit donc à la fois de juger la personne mais aussi ce qu'elle fait ou là d'où elle vient. C'est en cela que, bien avant l'instauration de la République en France, les philosophes des Lumières s'interrogeaient sur les vertus de l'éducation du peuple, à l'image de Condorcet qui appelait de ses vœux, dans les Cinq Mémoires sur l'instruction publique, une éducation du peuple prenant en compte les qualités de chacun trop souvent inexploitées, en raison d'une distribution des rôles sociaux uniquement liée à la naissance. Par la suite, les révolutionnaires, conscients de cette injustice, ont dès le 4 août 1789 aboli les privilèges, attendu que, dès juillet 1789, tous les hommes sont considérés comme libres et égaux en droits.
Ainsi, selon la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, tous les êtres sont doués d'une égale dignité ; aussi peut-on considérer que chaque individu a la même valeur. Tous les êtres humains méritent donc, en tant qu'ils sont des êtres humains, que la loi leur assure protection ; la devise « liberté, égalité, fraternité » en étant le pilier pour la République française. Notre démocratie est donc construite sur l'idée que chacun mérite que l'État lui garantisse la possibilité de vivre. Mais les choses ne s'arrêtent pas là, et envisager la notion de mérite ne peut se limiter à la qualité d'être humain de l'individu. En effet, un être humain n'est abstrait que par rapport à sa qualité d'être humain, mais dans la mesure où l'individu évolue dans un monde fait de contingences, le mérite doit également être lié à ces contingences. C'est pourquoi notre démocratie est construite sur la distribution des places sociales en fonction même des efforts fournis par les individus pour les atteindre, raison pour laquelle les Républicains ont souhaité mettre un terme à la monarchie et aux privilèges liés à la naissance et au droit divin. L'idée d'une éducation recherchant à extraire les individus les plus performants n'est donc pas nouvelle, la loi Guizot en 1833, bien avant Jules Ferry, a étendu l'alphabétisation du peuple français et a permis la diffusion de l'instruction primaire. Même si l'école n'est pas encore obligatoire, elle devient un « instrument politique », comme l'explique Dominique Schnapper. Puisque le but des Républicains est dès le départ associé à la lutte contre l'obscurantisme et à l'idée que la société ne peut progresser dans son organisation sans une éducation républicaine et scientifique, il s'agit de développer chez chacun ses potentialités selon son mérite.
Par la suite, l'avènement de l'école gratuite, obligatoire et laïque instaurée en 1881-1882 par Jules Ferry marque un acte politique fort et vient introduire l'idée que tous les individus ont droit à une éducation de base, commune à tous puisque abstraite des conditions de vie particulières de la famille. Chacun travaille selon son propre mérite, abstraction faite des contingences extérieures ; c'est pourquoi, à ce moment-là, seules sont prises en compte les qualités intellectuelles des individus. Pour autant, le système scolaire reste inégalitaire en son fondement puisque l'école primaire où l'on enseigne, comme le dirait Philippe Meirieu, le « lire, écrire, compter » est réservée au peuple et l'enseignement secondaire et supérieur aux élites. C'est ici que nous retrouvons la notion de mérite. À cette époque, des ponts vers l'élite commencent à se former, les élèves jugés les plus méritants par leurs performances scolaires parvenant à passer le certificat d'études peuvent obtenir des bourses afin de rejoindre l'enseignement secondaire. C'est le début de l'ascenseur social qui permet aux fils d'ouvriers et de paysans d'accéder par exemple au statut de fonctionnaire et de gravir l'échelle sociale en faisant partie des notables. Cependant, dès le début du xxe siècle, en vertu des progrès scientifiques, qui influent à la fois sur les sciences telles que la médecine ou la psychiatrie et qui ouvrent la voie vers l'extension de l'éducation à tous, mais aussi sur les progrès industriels, le monde change de visage, et la façon dont l'égalité entre les hommes est perçue évolue. D'une part, en France, au lendemain de la Première Guerre mondiale, les Compagnons de l'Université nouvelle critiquent le système scolaire à deux vitesses, en vertu du fait que, si tous peuvent combattre dans les mêmes rangs, tous ont droit d'étudier sur les mêmes bancs. D'autre part, dès 1919, la loi Astier vient répondre d'une certaine façon à ces revendications puisqu'elle crée une professionnalisation de l'enseignement et un diplôme, le CAP, qui vient parachever les études des ouvriers qualifiés. Le diplôme devient une certification pour ceux qui méritent une certaine fonction sociale et professionnelle, mais il ne s'adresse plus seulement aux enfants issus de la bourgeoisie. La Deuxième Guerre mondiale marque un autre tournant : les progrès scientifiques, notamment l'industrialisation à marche forcée, ainsi que les actes de barbarie commis durant la guerre, amènent à nouveau l'idée que l'éducation de tous est un rempart moral et une nécessité sociale. C'est ce que montre le plan Langevin-Wallon (1947), même si son application n'a pas été actée. Il explique qu'il faut que le principe de sélection des élites soit juste, à savoir indépendant de l'origine sociale. Une société ne peut donc réellement être démocratique que si la distribution des places sociales fait abstraction de l'origine et se fonde sur un système méritocratique juste. L'école va donc devenir un moyen de classer les individus en fonction de critères objectifs, notamment de réussite aux examens et concours.
Transition
Dans cette première partie, nous avons donc tenté une définition du mérite : celui-ci est lié à l'organisation politique de la démocratie française, qui met en place un système de redistribution des richesses afin que ceux dont les places sociales sont les moins élevées puissent d'une part espérer arriver à une meilleure condition de vie ou place sociale en fonction de leur éducation et de leur mérite et, si ce n'est pas le cas, soient assurés de conditions de vie correctes. L'éducation est au centre de la République car elle permet à chacun selon ses capacités d'accéder à une place sociale qui corresponde à son mérite. Cependant, ce n'est pas si simple, l'égalité des places n'est pas équivalente à l'égalité des chances, comme l'explique François Dubet dans les Places et les Chances : si tous peuvent accéder aux mêmes places en vertu des droits créances et des droits libertés, tous ne bénéficient pas des conditions de base pour y accéder. D'où la nécessité de mettre en place une politique d'équité.
II. Mérite et inégalités
C'est en 1975 que la réforme Haby amorce une massification de l'enseignement secondaire. L'idée n'est pas nouvelle, comme nous l'avons vu précédemment, mais l'acte politique est posé dans un contexte où la méritocratie prend de plus en plus d'ampleur. Toutefois, démocratisation et méritocratie entrent bientôt en conflit du fait de cette massification. Le contexte économique de cette époque n'est en effet plus favorable. Or, l'État promet l'accroissement du niveau de diplomation et, de ce fait, l'accroissement de l'accès à de plus hautes places sociales. Comme l'explique Marie Duru-Bellat dans l'Inflation scolaire, la France devient un pays où le diplôme promet insertion professionnelle mais aussi insertion sociale. Le problème se pose donc lorsque le diplôme obtenu ne garantit plus cette insertion. L'école est alors accusée de ne pas tenir ses promesses, l'ascenseur social est en panne. L'accroissement du taux de chômage provoqué par les chocs pétroliers de 1973 et 1979 a des conséquences à la fois sur les jeunes ayant un diplôme, sur ceux n'en ayant pas et sur les conditions de vie de ceux issus des milieux les moins favorisés. Une corrélation est donc constatée dès le début des années 1980 entre milieu social d'origine et scolarité. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, dans la Reproduction, montrent que l'école est fondamentalement injuste vis-à-vis des classes populaires puisque, par les savoirs qu'elle transmet, l'école ne fait que reproduire les élites. D'autres, comme Bernard Lahire, analysent le vocabulaire de l'école qui se fonde sur des compétences déjà transmises au sein des familles les plus favorisées. L'école est alors accusée de reproduire les inégalités sociales puisque ce qu'elle transmet vient des élites et ne fait écho que chez ces élites. Ces constats faits, compte tenu du fonctionnement de notre démocratie assurant protection aux plus faibles, l'État met en place une politique de compensation des inégalités sociales dès 1981 en créant les zones d'éducation prioritaire. Inspiré du modèle anglo-saxon de la discrimination positive, le modèle français s'appuie alors sur des critères externes et objectifs pour redistribuer les richesses au sein du système éducatif et venir soutenir en termes de moyens financiers et humains les établissements concentrant une population d'élèves en difficultés sociales et scolaires.
L'ascenseur social en panne, l'insertion professionnelle devient en 1989, avec la loi Jospin, l'un des objectifs affichés de l'Éducation nationale ; il est donc évident à cette époque que l'insertion sociale passe par l'insertion professionnelle. La question est donc de savoir ce que vont devenir ceux pour lesquels cette insertion professionnelle est difficile, voire impossible ; on commence donc à prendre en compte les « décrocheurs » et à penser l'école comme le moyen de remédier aux difficultés sociales. La politique d'éducation prioritaire subit plusieurs relances jusqu'en 2014 où sont créés REP et REP+. Pour autant, la dernière enquête PISA (2016) montre que, malgré cette politique d'équité, le système éducatif n'est pas parvenu en presque quarante ans à réduire les inégalités sociales ; celles-ci ayant même tendance à se creuser davantage. En dépit de la forme de justice sociale que met en place l'éducation prioritaire, les élèves ne réussissent pas complètement à s'insérer socioprofessionnellement. Pourtant, les élèves les plus méritants des zones d'éducation prioritaire, à savoir ceux qui par leur réussite scolaire parviennent à atteindre des objectifs élevés, bénéficient bien des dispositifs, mais ils ne sont pas assez nombreux au regard de ceux qui réussissent dans un milieu plus favorable, et c'est sans compter sur les « vaincus » du système éducatif, comme les nomme François Dubet dans l'École des chances. Et ces échecs ont des conséquences inattendues sur le fonctionnement du système éducatif. Puisque les élèves sont jugés responsables de leur échec, l'État ayant tout mis en place pour compenser leurs difficultés externes, ceux qui ne parviennent pas à réussir, atteints dans leurs individualités, se retournent contre le système scolaire lui-même, accusé d'exercer une violence symbolique, qui se meut en violence des élèves. Le système éducatif est donc soumis à une crise du sens, puisqu'il ne garantit pas ce qu'il promet et que les inégalités sociales se creusent.
Ainsi, Marie Duru-Bellat (le Mérite contre la justice) vient étayer la thèse selon laquelle, malgré toutes les compensations offertes par l'État, l'importance du milieu social d'origine reste un facteur déterminant, le mérite étant une fiction, surtout pour les élèves des collèges les moins favorisés. Cela se constate chaque année, notamment par les orientations de fin de troisième et par les résultats obtenus au diplôme national du brevet (DNB). Sans cette analyse, cela fait reposer l'échec, comme l'explique François Dubet, sur l'individu seul, puisque, malgré ses efforts, il ne parvient pas toujours à obtenir ce qu'il souhaite. Le mérite est donc une notion bien subjective au regard de la performance scolaire. On ne peut moralement pas considérer que les élèves issus des milieux les plus favorisés sont plus méritants que ceux issus des milieux qui le sont moins ; pourtant, en fonction du système de classement et de distribution des places sociales que revêt l'Éducation nationale, ce sont bien eux qui massivement parviennent à la réussite dans le supérieur et aux plus hautes fonctions sociales. Les inégalités de base se transforment donc en inégalités de réussite. En outre, si l'on se fondait uniquement sur le mérite, c'est-à-dire l'effort fourni pour parvenir à un but, que faire de l'élève qui a énormément travaillé et qui échoue, et de celui qui a peu travaillé et qui réussit ? L'injustice se loge donc dans la notion même de mérite car ce n'est finalement pas l'effort fourni qui est jugé mais le résultat. Il est bien difficile d'établir des critères objectifs dans la définition du mérite puisqu'on se heurte de manière quasi systématique à la notion de justice. Il n'est en effet pas juste de ne prendre en compte que le résultat et c'est pourtant ce qu'il se passe dans les procédures d'affectations comme Affelnet ou Parcoursup. L'un des effets pervers de la massification sans démocratisation réelle est de promettre à tous le plus haut niveau de diplomation possible et la meilleure insertion professionnelle, mais c'est oublier les contingences du marché de l'emploi, qui ne correspond pas forcément aux ambitions de tous. En réformant l'enseignement professionnel, l'État compte redonner une image positive à des filières délaissées mais porteuses d'emploi et met en lumière le fait que les diplômes universitaires ne sont pas forcément ceux qui conduisent à une meilleure insertion professionnelle. Pour autant, nous opterons ici pour ce que dit François Dubet dans l'École des chances : il vaut toujours mieux avoir des diplômes que ne pas en avoir.
Transition
Les inégalités de réussite scolaire perdurent, malgré tous les efforts fournis par l'État pour compenser les inégalités sociales de base qui pourraient influer sur les parcours scolaires. L'ascenseur social est en panne et le diplôme ne garantit plus de la précarité. Il serait cependant excessif de faire reposer la responsabilité du fonctionnement social sur l'École. En effet, si nous avons vu qu'elle contribuait à la reproduction des inégalités, elle n'en est pas aux fondements. Les conditions économiques dans lesquelles vivent certains élèves ne sont pas imputables à l'école et leurs conséquences non plus. Cependant, l'école étant au centre de notre démocratie, elle ne peut se contenter de constater son échec sans agir. Ainsi, si l'on s'attarde sur les dispositions prises dans la loi d'orientation de 2005 puis de 2013, on constate une volonté de dissocier insertion sociale et insertion professionnelle, par la mise en œuvre du socle commun notamment. On tente de ce fait de distinguer l'être social de l'être diplômé, pour s'attarder sur le citoyen.
III. Le CPE dans l'école, entre méritocratie et égalité des chances
Le personnel de l'Éducation nationale est le bras armé de la politique de compensation du système éducatif. En effet, il revient aux équipes éducatives et pédagogiques de mettre en œuvre les dispositifs de compensation des inégalités sociales. Il leur revient également la lourde responsabilité du classement scolaire. C'est pourquoi la loi de 2013 met bien en avant l'idée de parcours de l'élève ; en effet, un parcours peut être semé d'embûches mais cela n'empêche pas d'atteindre son but. Cette idée est manifeste dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture : une compétence peut être acquise tout au long de la scolarité obligatoire, et la rigidité de l'évaluation sommative peut être compensée par le livret scolaire unique (LSU). Il est à noter que les compétences évaluées ne sont pas seulement scolaires, puisque le domaine 3 du socle commun, « La formation de la personne et du citoyen », évalue les compétences psychosociales ; il y a donc une distinction entre l'insertion sociale et l'insertion professionnelle. D'ailleurs, les entretiens PassPro viennent mettre en lumière la valeur de ce domaine 3, puisque la motivation de l'élève est prise en compte autant que ses résultats scolaires. Depuis 2005, l'égalité des chances est une priorité pour tous ceux qui agissent au sein du système éducatif, elle doit mener à la réussite de tous mais cette dernière ne se pense plus seulement en termes de résultats. Les études comparatives internationales montrent d'ailleurs la pertinence d'une forme d'évaluation bienveillante qui ne se fonderait pas sur un classement, comme dans les pays du nord de l'Europe par exemple. Cependant, ces méthodes se heurtent en France à des complexités héritées de l'histoire du système éducatif lui-même. Les parents, qu'ils soient proches ou éloignés de l'école, accordent encore beaucoup d'importance à la note et au classement, dans le sens positif comme négatif. Les familles réinvestissent l'école et sont conscientes de son aspect méritocratique, qu'elles le critiquent ou qu'elles y adhèrent.
Le conseiller principal d'éducation, exception française, est à la croisée de ces interrogations sur le fonctionnement du système éducatif. L'une des missions affichées dans la circulaire de 2015 est « d'instruire et d'éduquer afin de conduire l'ensemble des élèves à la réussite scolaire et à l'insertion professionnelle et sociale ». Le CPE se place donc au côté des enseignants dans une démarche d'évaluation bienveillante et d'accompagnement des élèves, tout en étant conscient des effets des inégalités sociales sur la réussite scolaire. Sa place au conseil de classe en fait par exemple un levier dans l'évaluation du mérite de l'élève. Lorsqu'il s'agit de distribuer des récompenses, il est souvent consulté, sur les efforts fournis par l'élève pour réussir, sur sa participation aux dispositifs de remédiation, l'évolution de son comportement dans et hors la classe, son engagement dans la vie de l'établissement, etc., autant de paramètres qui entrent en compte dans le LSU mais aussi sur le bulletin scolaire, si important aux yeux des élèves et des parents. Le CPE trouve ainsi, au sein des dispositifs ouverts par la loi de 2013, le moyen de valoriser le mérite des élèves selon d'autres critères que ceux de la réussite scolaire. Réussir sa scolarité ne se résume donc plus à obtenir de bons résultats. La connaissance par le CPE des élèves et de leurs difficultés fait de lui un pilier de l'inclusion de tous les élèves. En tant qu'il est en lien avec l'ensemble des membres de la communauté éducative, il peut valoriser l'élève aussi bien auprès des enseignants que des parents, notamment en explicitant quelles sont les attentes de l'école. En participant activement à l'éducation à la citoyenneté, il œuvre en tant que pédagogue, mais n'est pas soumis à l'évaluation sommative, ce qui fait de son intervention auprès des élèves un levier pour tempérer certaines évaluations qui ne s'axeraient pas sur des compétences sociales mais sur la seule performance. L'insertion sociale et professionnelle est donc une priorité pour le CPE, et il s'agit parfois pour lui de venir compenser un jugement scolaire trop peu nuancé sur le mérite de l'élève, et sur les critères envisagés pour le définir.
C'est d'ailleurs le piège de la fonction d'être accusé de connivence avec les élèves, mais ce serait une erreur de penser que l'élève se réduit à ses performances scolaires et que son expérience d'élève n'est pas traversée par des embûches, la seule adolescence en elle-même en étant une. Si le CPE doit « placer les adolescents dans les meilleures conditions de vie individuelle et collective », c'est que son rôle ne se limite pas au seul rappel à la loi. Les élèves ont droit à ce qu'ils méritent, à savoir l'éducation, mais aussi à la prise en compte de leur individualité. Tout individu mérite autant que faire se peut d'avoir une éducation qui corresponde aux valeurs de la République et à ses capacités. Le métier de CPE a évolué, passant du surveillant général au conseiller principal d'éducation ; or on ne peut faire fi de cette évolution concomitante à celle du système éducatif. La « démocratisation » du métier est liée à la démocratisation de l'école. Passant d'une forme d'autoritarisme à une forme de bienveillance à l'égard des élèves, le CPE est partie prenante de la mise en œuvre de l'égalité des chances. Ce n'est pas un hasard si le nombre de CPE par établissement est supérieur dans les zones d'éducation prioritaire, sa connaissance des élèves le place en effet en avant-poste dans l'aide qui peut leur être apportée et partant dans la compensation des inégalités sociales. En organisant par exemple le dispositif « Devoirs faits », bien que ce dernier doive être mis en place dans tous les collèges, le CPE s'assure que ceux dont les conditions matérielles de vie ne permettent pas la réalisation du travail scolaire dans de bonnes conditions puissent les trouver au sein de l'établissement. Il s'agit donc pour lui d'éviter le piège de la notion d'égalité des chances accompagnée de celle de mérite, qui consisterait à penser que, puisque l'on a mis en place tous les dispositifs possibles, si l'élève échoue, cela relève de sa seule responsabilité. En effet, les formes d'échec scolaire sont multiples dans leurs causes, et les dispositifs ne suffisent parfois pas à compenser des problématiques sociales trop lourdes. L'école ne parvient par exemple pas à compenser le manque d'amour familial, le décès d'un parent, la pathologie mentale d'un parent, etc., qui pourrait avoir des conséquences sur la vie scolaire de l'élève. C'est pourquoi il est important de garder à l'esprit que l'une des compétences communes aux CPE et aux enseignants est le travail d'équipe, tant il est crucial pour la réussite scolaire de tous que l'individu soit considéré dans toutes ses dimensions, même si la priorité reste l'élève. À ce titre, nous pouvons citer André Comte-Sponville dans le Guide républicain : « L'égalité des chances, c'est le droit de ne pas dépendre exclusivement de la chance, ni de la malchance. C'est le droit égal, pour chacun, de faire ses preuves, d'exploiter ses talents, de surmonter, au moins partiellement, ses faiblesses. C'est le droit de réussir, autant qu'on le peut et qu'on le mérite. C'est le droit de ne pas rester prisonnier de son origine, de son milieu, de son statut. C'est l'égalité, mais actuelle, face à l'avenir. C'est le droit d'être libre, en se donnant les moyens de le devenir. C'est comme une justice anticipée, et anticipatrice : c'est protéger l'avenir, autant que faire se peut, contre les injustices du passé, et même du présent. »
Conclusion
Ainsi, si l'un des rôles de l'école demeure la hiérarchisation des individus et que cette dernière ait des conséquences sur les places sociales occupées à l'issue de la compétition scolaire, on ne peut pas considérer d'une part que l'école ne se préoccupe pas de ceux qui échouent à cette compétition ni d'autre part qu'elle ne se préoccupe pas des conséquences de l'échec. L'école subit les contingences des évolutions politiques et des choix économiques, mais elle doit en compenser les causes et les conséquences. Vaste mission que ses personnels assument au quotidien en prenant la responsabilité du devenir des élèves. L'éducation ne se résume donc pas à l'instruction puisque l'école doit à l'État des citoyens autant que des travailleurs. Le problème se pose lorsqu'une partie du citoyen se réduit à l'emploi qu'il occupe. C'est tout le sens de la loi de 2013, de dissocier insertion sociale et insertion professionnelle et de monter que l'école ne se réduit pas au classement des individus selon des critères de performance. Chaque élève, en tant qu'être humain, mérite qu'on le considère au sein du système éducatif comme un citoyen en devenir. Chaque élève mérite et a le droit à l'éducation quelles que soient ses difficultés, mais il mérite aussi d'être soutenu face à ces difficultés. Il est donc bien évident que si l'on agit avec bienveillance, on trouvera le moyen par l'inclusion de montrer à chaque élève qu'il mérite sa réussite scolaire.