S'en sortir ensemble
Lionel Coutancier n'est évidemment pas un cas isolé. Selon le Livre vert sur l'évolution du métier d'enseignant, de Marcel Pochard, 46 % des enseignants du premier degré et 39 % de ceux du second degré songent à quitter leur métier… Peu d'autonomie, pas assez de reconnaissance, conflits, responsabilités ambiguës, sentiment d'injustice, recherche d'un sens… Les psychologues, sociologues et professionnels de l'école interrogés envisagent une des solutions à la morosité ambiante par une approche collective du problème. « Les enseignants doivent se mettre autour d'une table, chercher des solutions ensemble, avec le soutien de la direction ». La difficulté à créer des rapports de proximité entre la hiérarchie et les professeurs, revient régulièrement dans les témoignages. « Chaque corps ne va pas l'un vers l'autre. C'est dommage, car quand les enseignants ont un sentiment d'efficacité collective, ils mettent en œuvre des stratégies de résolution des problèmes : cela a un effet positif », observe Nicole Rascle, vice-présidente de l'université Victor Segalen-Bordeaux 2 et Professeur de Psychologie.
Pour Lionel, une refonte de la formation des enseignants s'impose, notamment sur le développement des compétences humaines. « La façon de recruter est singulière. On met de côté nos aptitudes de passeurs de savoir et à la place on nous fait faire des dissert' ». Nicole Rascle abonde. Selon elle, l'enseignant ne doit pas trouver seul la bonne distance, entre vie privée et vie professionnelle, avec les élèves, avec sa hiérarchie. « Comme la formation psychosociale est très faible, les professeurs risquent de développer des stratégies de défense et de survie. On remarque d'ailleurs chez les débutants, dans le premier degré, le développement d'une pratique traditionnelle de l'enseignement comme la punition, les avertissements, les cris. Ce qui est une stratégie de survie, pas de travail. »
Ainsi, il ne suffit plus d'un cours bien préparé, pour réussir à le transmettre et obtenir un retour valorisant. « Un programme bien ficelé fonctionne moins bien qu'un projet collectif, aujourd'hui indispensable à l'épanouissement et au bon fonctionnement, mais cela nécessite une autonomie » observe Lionel, pourtant aujourd'hui bien loin des tracas de la cause enseignante. Puis, après un bref silence, il conclut par la question suivante, peut-être la clé d'un épineux problème, si elle trouvait si ce n'est une réponse, au moins un écho : « Les enseignants ont-ils suffisamment d'autonomie et de marge de manœuvre ? ».