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Le bizutage : souffrance et humiliation

Le bizutage : souffrance et humiliation

Les bizutages sont des rituels initiatiques qui peuvent imposer aux victimes beaucoup de souffrance et d'humiliation. Le débat qu'ils suscitent à chaque rentrée scolaire et universitaire apparaît de plus en plus virulent. Rite de passage découlant d'une tradition pour les uns, déchaînement de violence stupide relevant d'une tendance totalitaire pour les autres, cette pratique apparaît, depuis quelques années seulement, comme un problème social.
Le principe repose sur l'idée d'intégrer un nouveau venu au sein d'un groupe constitué ou d'une association. Ces cérémonials font office d'actes d'adhésion. Les « Anciens » imposent aux « Nouveaux » ce qu'ils ont vécu lors de leur propre intégration. Aujourd'hui, ces pratiques sont particulièrement répandues dans les Facultés de médecine et les écoles d'ingénieurs. Selon l'association SOS Bizutage : « On bizute partout à travers l'Europe, les associations d'« Anciens » veulent voir se perpétuer des actes dégradants étant perçus comme des traditions façonnant un esprit de corps qui se maintiendra tout au long de l'existence professionnelle future. C'est un moyen de dressage des classes. Un véritable rapport de maître à esclave. »
© Iconos
Bien qu'interdit par la loi depuis le 17 juin 1998, les chefs d'établissements font parfois preuve de laxisme, certains d'entre eux sont même accusés par les associations militantes, d'encourager ces pratiques.
A-t-on toujours bizuté en France ?
Le bizutage et son histoire

Le bizutage et son histoire

Selon René de Vos, docteur en philosophie et sociologue, ces pratiques remontent au XIIe siècle. Dans les universités parisiennes, les « béjaunes » subissaient alors des rites initiatiques violents et humiliants. Cette tradition s'éteint au moment de la Révolution Française.
Mais en 1804, les polytechniciens ressuscitent le principe des rites d'initiation. À cette époque on parle de « bahutage » dont le principe consiste à dresser les élèves contre l'administration de l'école, alors très contestée. À force d'unités, les élèves obtiennent gain de cause. La tradition du bahutage perdure en mémoire de cette glorieuse victoire, la volonté est alors de forger un esprit de corps.
Très rapidement, ces cérémonies s'étendent aux écoles militaires, aux facultés de médecine et aux écoles des Beaux-Arts. Le terme « bizut » est une invention de l'école Saint-Cyr.
Au cours des années soixante, elles finissent par tomber plus ou moins en désuétude. « Le bizutage, fait remarquer le CNCB, le Comité National Contre le Bizutage, s'estompe en France lorsque les étudiants sont empreints de valeurs fortes, à des moments de remises en question clé de l'histoire, comme la Révolution Française ou mai 1968. » En 1985, Polytechnique renoue avec sa tradition, celle-ci s'étend de nouveau à travers les facultés de médecines et les écoles d'ingénieurs. De nombreux débordements médiatisés conduisent l'État à prendre des mesures.
Le bizutage interdit par la loi

Le bizutage interdit par la loi

Ségolène Royal, ministre déléguée à l'Enseignement scolaire du Gouvernement Jospin, met en place la loi du 17 juin 1998(1) selon laquelle, le bizutage est un délit. Il devient donc interdit « d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants. » Cette loi exclut un consentement éventuel des victimes. De plus, cette activité si elle est « liée au milieu scolaire, est punie de six mois d'emprisonnement et de 7 500 euros d'amende. » Les victimes peuvent témoigner au 119, service d'accueil de l'enfance, ce numéro est gratuit, il est ouvert 24 heures/24 et il a pour but de faciliter le dépistage des situations de maltraitance.
Selon SOS bizutage « La loi peine à être appliquée car les victimes déposent rarement plaintes. » En effet, les victimes craignent des représailles et ne veulent pas faire face à des groupes d'étudiants possédant d'importants moyens de pression. Pour le CNCB, il serait judicieux de mettre en place un véritable dispositif d'encadrement pédagogique pour appuyer ces élèves, l'association en appelle à une réelle implication de la police et des passants pour faire appliquer la loi sur la voie publique.
Les différentes associations anti-bizutage saluent l'initiative du ministre et s'accordent à dire que ces mesures ont limité les excès. Malheureusement, la pratique perdure, elle se perpétue sous d'autres formes.
(1)Article n° 225-16-1 du Code Pénal
Le bizutage aujourd'hui : le combat continue !

Le bizutage aujourd'hui : le combat continue !

Conséquence de l'interdiction du bizutage : les spécialistes observent que les rites ont évolué vers une forme plus festive. Ils sont remplacés par des pratiques plutôt bon enfant, par le biais de jeux, de déguisements, de baignades, de défilés dans la rue etc.
Autre conséquence, nettement moins ludique, le principe du bizutage s'est muté sous d'autres formes, dont la plus répandue est : « le week-end d'intégration », dit le « wei ». C'est ainsi qu'un jeune homme de 23 ans a trouvé la mort, lors d'un de ces week-ends, organisé par les élèves de la faculté dentaire de Nancy, le 28 septembre dernier.
Profitant de cette sinistre occasion, Valérie Pecresse, ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche a renouvelé son engagement contre ces pratiques. « Nous condamnons fermement toutes les pratiques du bizutage qui sont désormais interdites par la loi. Le bizutage, c'est tout ce qui s'apparente à du harcèlement moral, à des violences physiques ou psychologiques, ça peut briser les plus fragiles » a-t-elle déclaré. « Il faut avoir un regard lucide sur ces pratiques : ce sont des formes de violences psychologiques très graves » affirme la ministre.
SOS bizutage, insiste sur l'urgence d'une prise de conscience globale de toute la communauté universitaire. L'association milite pour le devoir de vigilance, qui selon elle, n'est pas uniquement du fait du recteur, mais aussi des présidents d'université, des professeurs, des doyens et surtout des étudiants eux-mêmes. « Les étudiants ne peuvent pas se cacher derrière une forme de tradition pour justifier de tels actes » rappelle Jean-Pierre Delarue.
L'application ferme de la loi paraît d'autant plus nécessaire que par esprit de contagion, certains lycéens ont adopté ce type de comportements vexatoires. L'actualité s'est encore fait très récemment l'écho de pratiques tenant davantage de l'agression sexuelle que d'une pratique d'intégration des nouveaux élèves, dans un établissement de Poitiers.
Les conseils de Jean-Pierre Delarue, Président de SOS bizutage

Les conseils de Jean-Pierre Delarue, Président de SOS bizutage

« Pour notre association, le bizutage est une activité humiliante que nous essayons de combattre en amont. Depuis ces 20 dernières années, les pratiques ont considérablement diminué, le combat mené porte ses fruits, puisque, selon le Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, 91 % des Français sont en accords avec l'interdiction de cette pratique. »
  • Boycottez les « wei » si le lieu n'est pas indiqué, ne laissez pas de places aux surprises, elles sont généralement de mauvais goût dans ce type de contexte.
  • Avant un « wei », exigez qu'il y ait un service d'encadrement sobre. L'alcool est le problème principal lors de ces week-ends, il est la cause de tous les dérapages.
  • Pour palier tout désagrément, vérifiez auprès du bureau des étudiants que l'accès aux fêtes est ouvert à tout le monde. Assurez-vous que les organisateurs des wei n'ont rien à cacher et cela, durant toute la soirée.
  • Ne vous assimilez à aucune confrérie, cercles, castes ou autres, ces groupuscules étudiants inventent le plus souvent leurs propres rites et n'ont aucunes limites.
Nos mises en gardes concernent particulièrement les jeunes filles. Elles sont hélas les cibles prioritaires de jeux sexuels.
Adresses et liens utiles

Adresses et liens utiles

Les spécialistes sont unanimes concernant les violences psychologiques administrées aux victimes du bizutage : « c'est quelque chose qu'il ne faut pas garder pour soi. » Les séquelles psychologiques sont considérables. Jean-Pierre Delarue cite l'exemple d'un étudiant qui s'est fait brûler, « par accident » lors d'un « wei ».
Les victimes peuvent s'adresser aux structures suivantes :
  • le 119 par téléphone
N'hésitez pas à contacter l'administration de votre école ou de votre université.
Sources
  • Association SOS bizutage
  • Le CNCB
  • Ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche
  • Le bizutage, René de Vos, éditions PUF
Dossier réalisé par la MAIF, novembre 2009.