L'état des lieux de la recherche : une tentative de dresser des profils
En tant que membre de l'Éducation nationale, il faut se garder de reproduire des clichés, de projeter des peurs et ainsi de reproduire les discriminations auxquelles sont sensibles les jeunes élèves. Les discriminations dans le cadre des institutions étatiques sont un terreau pour se désolidariser du lien social.
Ressources :
- Un état des lieux de la recherche a été dressé en mars 2016 par l'Alliance ATHENA (Alliance nationale des sciences humaines et sociales) et remis par son président Alain Fuchs : « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s'en protègent ».
- Le site Eduscol offre une bibliographie sur les recherches concernant la radicalisation.
- Une bibliographie des chercheurs travaillant sur les questions de radicalisation et de terrorisme est proposée par Esther Huet et al. (mise à jour au 9 janvier 2018).
Ces études reviennent sur plusieurs idées reçues.
• L'étude sur le profil de 137 djihadistes jugés par les tribunaux français, de Marc Hecker, chercheur à l'Institut français des relations internationales (IFRI), repose sur un échantillonnage ; cette méthode veut donc éviter les généralisations. Selon lui, il n'y a pas de profil-type mais des marqueurs récurrents. Les questions biographiques n'expliquent pas tout ; de même, dans le processus de radicalisation, Internet est un élément facilitant mais non suffisant. Ainsi, la catégorie du loup solitaire, cas exceptionnel, ne fait pas sens. La radicalisation est un effet de groupe qui implique organisations et rencontres. Il existe des cas de dynamique au sein de la famille et d'amis se connaissant de longue date. La radicalisation n'est pas forcément manipulation mentale mais une recherche personnelle. Il existe des cas de délinquance préalable sans que cela soit systématique.
Les djihadistes étudiés sont plus pauvres, moins bien insérés professionnellement, d'un niveau d'éducation plus faible, plus liés à la criminalité et plus liés au Maghreb et à l'Afrique subsaharienne que la moyenne de la population. Mais les causes sociales et démographiques seules n'expliquent pas le passage à l'acte et le terrorisme.
Ressource : Marc Hecker, «
137 nuances de terrorisme. Les djihadistes de France face à la justice », Études de l'IFRI,
Focus stratégique, n° 79, avril 2018.
• Dans une enquête menée en avril 2018 pour l'Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (INJEP) auprès de 7 000 lycéens, Laurent Lardeux remarque que les taux d'adhésion au système scolaire des élèves sont très proches d'un type de lycée à un autre : là où d'importantes inégalités sociales apparaissent et où l'établissement est fréquenté en majorité par des descendants d'immigrés, on ne voit pas davantage d'élèves éloignés des valeurs transmises par l'école que dans un lycée socialement et ethniquement plus mixte.
Dans les territoires les plus précarisés, on croit moins en l'idéal républicain sans que cela débouche sur la radicalisation. Au contraire, cela peut faire aboutir à une volonté de réussite et de dépassement des injustices et des discriminations. Les jeunes ont confiance en leurs chances d'avoir un avenir qu'ils voient meilleur que celui de leurs parents par le biais de l'école républicaine. Ils expriment de l'ambition même s'ils se disent moins bien traités en raison de leurs origines lors de l'orientation ou lors des rencontres avec la police.
• Dans La Tentation radicale. Enquête auprès des lycéens (2018), Olivier Galland et Anne Muxel expliquent également que ni les facteurs socio-économiques ni les discriminations ressenties ne sont « décisifs » pour expliquer la tentation radicale religieuse. Sans surprise, les garçons sont plus perméables que les filles à la violence et à la déviance.
Les auteurs présentent comme un résultat majeur de leur enquête le fait que ce sont les facteurs prédictifs d'absolutisme religieux qui jouent un rôle et non des facteurs extra-religieux (exclusion économique, discrimination, malaise identitaire).
Ils analysent également les réactions des lycéens aux attaques terroristes de janvier et novembre 2015. L'enquête aboutit à des résultats contrastés : une majorité de jeunes ont vécu ces événements comme un traumatisme, un moment de partage en commun et d'adhésion aux valeurs républicaines et une faible minorité « comprend » les motivations des terroristes. « Il existe chez [cette minorité] une tension entre respect de la liberté d'expression et idée d'une blessure identitaire due aux caricatures de Mahomet. »
Anne Muxel décline la « radicalité politique » en une « radicalité de protestation » et une « radicalité de rupture », lesquelles « relèvent d'univers culturels assez clivés ». Il est question de la violence sourde du monde social comme facteur déclencheur de la radicalité (au sens large) des jeunes lycéens.
• Laurent Bonelli et Fabien Carrié, auteurs du rapport « Radicalité engagée, radicalités révoltées. Une enquête sur les mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse » remis à la garde des Sceaux le 28 mars 2018, ont étudié 133 dossiers de mineurs radicalisés (corses, militants d'extrême droite, nationalistes basques, islamistes violents) et distinguent deux profils :
- les « révoltés » qui s'engagent dans une radicalité apaisante ou rebelle ou agonistique ;
- les « engagés » qui relèvent d'une radicalité utopique.
La gravité des actes des « engagés » est plus importante alors qu'ils sont peu connus des services de police, vivant souvent au sein d'une famille biparentale, investis intellectuellement dans leurs études. Les filles sont plus nombreuses dans ce type de radicalités.
Les auteurs définissent ainsi
quatre types de radicalités :
- « radicalité apaisante » : recherche d'un certain apaisement face à un désordre familial ;
- « radicalité rebelle » : transfert de leur opposition aux institutions via un processus de radicalisation ;
- « radicalité agonistique » : provocation vis-à-vis de l'encadrement familial, opposition frontale aux parents ;
- radicalité des « engagés » : elle « répond à une urgence existentielle de pouvoir se projeter dans le futur notamment du fait de la reconfiguration des projets qui s'opère avec le passage en 3e ou en seconde ».
Ressource : Laurent Bonelli et Fabien Carrié, «
Radicalité engagée, radicalités révoltées. Une enquête sur les mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse », 28 mars 2018.
• La chercheuse en sociologie Isabelle Lacroix, dans son article « Radicalisations et jeunesses. Revue de littérature » de mars 2018, reprend l'histoire des jeunes radicalisés depuis les années 1970. Elle fait un point sur la recherche et les controverses concernant la radicalisation religieuse en opposant l'« islamisation de la radicalité » des jeunes et la « radicalisation de l'islam ». Elle corrige l'image de ces jeunes radicalisés que construisent les médias, appelle à une approche multicausale et passe en revue les lieux de la radicalisation. Elle dresse un tableau des analyses des perspectives subjectives comme la frustration, la discrimination, la construction identitaire. Elle analyse l'apport de la sociologie de la jeunesse comme période biographique rendant disponible à la radicalisation.