Pour plus qu'aucun autre art, l'évolution de l'architecture est fortement liée aux mutations de la société. On comprend donc que l'industrialisation accélérée, les deux guerres mondiales et un accroissement démographique sans précédent aient profondément bouleversé le paysage architectural.
L'architecture se pense de plus en plus en termes d'échanges entre les hommes et non plus seulement comme un simple moyen de protéger l'individu des agressions extérieures.
Mais des tensions restent toujours à l'œuvre, entre nécessités socio-économiques, dialogue avec l'héritage culturel, contexte urbain, et, tout simplement, idéal du Beau.
1. L'architecture moderne, 1900-1945
a) Art nouveau et style 1900
• Le style Art nouveau marque la fin du xixe siècle et inspire toutes les formes d'art, de la peinture à l'ornementation. Il se caractérise précisément par la volonté de fusionner tous les arts et de les intégrer à la vie quotidienne. Le moindre objet décoratif peut se voir appliquer un principe artistique. En architecture, les préceptes de l'Art nouveau impliquent chez les créateurs une recherche sur les matériaux, la structure, l'ornement et la définition d'un style commun.
• C'est en Belgique, avec Victor Horta, que l'Art nouveau trouve ses applications les plus cohérentes. Sa conception de l'hôtel Tassel à Bruxelles (1893) montre un souci du détail poussé jusqu'à la perfection avec sa décoration luxuriante sur un thème végétal. À la même époque, Hector Guimard conçoit des ferronneries dont les motifs floraux marqueront longtemps le paysage parisien, notamment les bouches de métro.
Pour autant, l'Art nouveau, dans sa logique de fusion des arts, dans son perfectionnisme extrême, ne semble plus correspondre aux nouvelles données socio-économiques. Cet art s'est vu décliner en un style industriel beaucoup moins rigoureux et moins cohérent dans la relation entre la structure et le matériau utilisé : le style 1900, peu inventif et parfois « kitsch ».
b) Les années 1920-1945, du Bauhaus au style international
• En 1919, l'architecte et urbaniste allemand Walter Gropius fonde le Bauhaus (« maison du bâtiment »), école d'arts et métiers dont l'édification est une application stricte de ses principes. Le bâtiment est massif, aux formes épurées ; le verre y tient une place importante. Le mouvement Bauhaus pose les bases de l'architecture moderne et du style international. Celui-ci se veut en rupture avec toutes les traditions et conventions du passé, avec des volumes lisses et le refus de l'ornementation.
• En 1933, la charte d'Athènes, réunissant les puristes des congrès d'architecture moderne, codifie une sorte d'idéal international de la forme pure. L'architecte français Le Corbusier est l'un des théoriciens du modernisme architectural. Il applique à toutes ses constructions, du logement collectif à la villa de luxe, ses « cinq points de l'architecture moderne » : plan libre ; façade rideau ; pilotis ; toit terrasse ; fenêtres en bandes. Grand utilisateur du béton, il s'affirme aussi comme un véritable sculpteur de lumière et accorde une grande importance aux espaces verts (Cité internationale universitaire de Paris, 1930-1932).
2. L'architecture contemporaine (1945-2000)
a) L'après-guerre
• Les destructions de nombreuses villes par les bombardements pendant la Seconde Guerre mondiale donnent lieu à des plans de reconstruction massive. Dans le même temps se développent et se perfectionnent des techniques industrielles qui inspirent les architectes. Jean Prouvé est l'un de ces architectes modernes qui ont axé leurs recherches sur les moyens de marier au mieux la légèreté des formes, la fonctionnalité et l'utilisation de matériaux économiques. En 1954, il fonde les Ateliers Jean Prouvé dans cette perspective. Cette tendance va s'étendre notamment dans le reste de l'Europe, sous le nom de néoproductivisme, dont la figure emblématique est l'architecte Mies van der Rohe.
Le style international s'épanouit encore dans les années d'après-guerre ; un ami de Le Corbusier, l'architecte Auguste Perret donne à la ville du Havre, anéantie par les bombardements, un visage nouveau. Son hôtel de ville en béton, très rigoureux dans ses formes inspirées des proportions antiques, illustre cette volonté d'imposer une géométrie rigoureuse, voire austère, au paysage urbain.
Mais cette conception puriste s'essouffle quelque peu dans les années 1950, et certains réagissent contre le purisme glacé du style moderne. Même Le Corbusier s'oriente vers la courbe et transforme ses œuvres en puissantes compositions sculptées, dont la chapelle Notre-Dame-du-Haut à Ronchamp, commencée en 1950, est un exemple probant.
• Depuis les années 1970, il est difficile de définir des tendances architecturales très nettes. Il n'y a plus à proprement parler de mouvement. Tout au plus pouvons-nous esquisser des « familles », dont certaines peuvent se recouper. Ainsi, dans la lignée de Jean Prouvé trouve-t-on ceux pour qui l'architecture est avant tout au service des hommes, dans des matériaux essentiellement industriels et facilement réalisables. D'autres veulent au contraire résister aux dérives d'une architecture contrainte par les nécessités de la consommation et prônent une réflexion visant à ne pas séparer les projets architecturaux de leur contexte urbain.
Une tendance « régionale » (en opposition au style international) s'esquisse également : les architectes s'inspirent des apports architecturaux spécifiques à une région et travaillent dans une sorte de dialogue avec un héritage culturel. On voit ainsi s'élever des édifices néobaroques (Gehry) ou néoclassiques (Bofill).
b) Les réalisations contemporaines
• De nombreuses réalisations en France témoignent de la diversité des approches contemporaines en matière d'architecture. De plus, elles montrent que si le style international est, en tant que tel, remis en question au profit de la variété post-moderniste, l'architecture demeure plus que jamais l'affaire d'individus, venus de tous horizons.
À Paris, l'histoire de l'architecture contemporaine commence sans doute avec le centre Georges-Pompidou, conçu par l'Italien Renzo Piano et inauguré en 1977. Cette « tuyauterie », dont les éléments habituellement dissimulés sont ici montrés au grand jour (escalators, etc.), suscite à l'origine des réactions scandalisées. Mais Renzo Piano défend un monument où s'exprime « un rapport extraordinairement libre entre l'art et les gens, où l'on respire la ville en même temps ». Le centre Beaubourg est aujourd'hui le deuxième monument le plus visité en France…
• Les grands travaux entrepris sous le premier septennat de François Mitterrand montrent également une grande variété de styles et de nationalités : l'arche de la Défense, œuvre du Danois von Spreckelsen réalisée à partir de 1983, se veut un écho moderne à l'arc de triomphe de l'Étoile. L'Opéra-Bastille, conçu par le Canadien Carlos Ott et inauguré en 1989, obéit plutôt à une esthétique fonctionnaliste, avec ses masses brutes et ses jeux de volumes lisses et asymétriques. La pyramide du Louvre, conçue par Ming Pei et réalisée entre 1984 et 1988, montre une volonté d'intégrer la modernité la plus radicale au cœur d'un lieu chargé d'histoire culturelle – la cour carrée du Louvre.
La bibliothèque François-Mitterrand, quant à elle, répond à des nécessités plus réelles : la Bibliothèque nationale ne peut plus accueillir la grande masse d'ouvrages qui lui sont envoyés. Mais là encore, c'est un projet à la forme symbolique qui l'emporte : les quatre tours angulaires de 79 mètres figurent des livres ouverts (conception du Français Dominique Perrault, 1996).
• Certaines réalisations montrent que, de plus en plus, l'architecte est aussi un ingénieur, maîtrisant les matériaux les plus modernes et les structures. L'aéroport de Lyon-Saint-Exupéry, représentant un oiseau prenant son envol, marque cette fusion entre architecture et techniques de pointe.
À Montpellier, l'architecte catalan Ricardo Bofill est plutôt une figure à rapprocher des « utopistes » du xixe siècle comme Ledoux ou Boullée. Ses réalisations comme l'hôtel de région de Montpellier, rappellant les temples antiques, illustrent une des tendances du postmodernisme, en inscrivant le patrimoine culturel dans la modernité.
L'architecte français Jean Nouvel aime lui aussi dialoguer avec le passé, comme il le montre avec sa rénovation de l'Opéra de Lyon : l'édifice primitif est surmonté d'un dôme d'acier et de verre, et le péristyle est rythmé par des lustres rouges rappelant l'époque baroque.
Il semble, quoi qu'il en soit, que l'avenir de l'architecture n'a pas encore de « projet commun » bien défini. Sans doute la mondialisation et ses menaces d'uniformisation vont-elles susciter en retour des réactions régionalistes, pour le meilleur et pour le pire, en espérant que l'architecture de demain trouve un équilibre entre populisme de mauvais aloi, kitsch régional et neutralité insipide.