Sujet 2024 de français, groupement académique 1
Dernier essai le - Score : /20
Sujet

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L'épreuve est notée sur 20. Une note globale égale ou inférieure à 5 est éliminatoire. Durée de l'épreuve : 3 h ; coefficient 1
L’épreuve prend appui sur un texte (extrait de roman, de nouvelle, de littérature d’idées, d’essai, etc.) d’environ 400 à 600 mots.
Elle comporte trois parties :
  • une partie consacrée à l’étude de la langue, permettant de vérifier les connaissances syntaxiques, grammaticales et orthographiques du candidat ;
  • une partie consacrée au lexique et à la compréhension lexicale ;
  • une partie consacrée à une réflexion suscitée par le texte à partir d’une question posée sur celui-ci et dont la réponse prend la forme d’un développement présentant un raisonnement rédigé et structuré.
Corrigé

Corrigé

I. Étude de la langue (6 points)
1. 
« Écrire est un engagement à ferrailler. On s’engage dans l’écriture comme dans une armée imaginaire, où l’on serait à la fois général et aspirant soldat. » (lignes 1 à 2)
a)
Comment expliquer l’emploi du présent de l’indicatif dans les lignes ci-dessus ?
b)
Identifiez le mode et le temps de « on serait » et justifiez leur emploi.
Il s'agit d'une question classique sur la valeur des temps. Voici un rappel des valeurs du présent de l’indicatif :
Les valeurs temporelles :
– Le présent de la situation d’énonciation plus ou moins élargi.
Ex. : Je pars demain. / Il est trop tard.
– Le présent « omnitemporel » ou de vérité générale pour des énoncés présentés comme toujours vrais (définition, proverbe, etc.).
Ex. : L’eau bout à 100 degrés.
– Le présent de narration : dans un récit au passé, il donne l’impression que l’action se déroule au moment de la lecture.
Ex. : « Un loup survient à jeun… ».
Les valeurs modales :
– L’injonction.
Ex. : Tu te tais !
– L’éventualité.
Ex. : Si tu viens, je te raconterai.
Le conditionnel :
dans la terminologie scolaire, le conditionnel est un temps de l’indicatif. Il est symétrique du futur.
– Sa valeur temporelle : futur dans le passé. Ex. : Le lendemain, il saurait enfin.
– Il peut avoir des valeurs modales :
  • L’hypothèse : il est utilisé dans la principale (la subordonnée circonstancielle d’hypothèse est à l’imparfait de l’indicatif). Ex. : Si je voulais, je le ferais.
  • L’éventualité. Ex. : Il aurait appuyé sur le bouton.
  • L’atténuation d’une demande. Ex. : J’aimerais que vous fermiez la porte.
a)
Le présent de l’indicatif est utilisé dans cette phrase avec sa valeur omnitemporelle. La narratrice présente son affirmation comme une vérité générale.
b)
Le verbe « serait » est conjugué au conditionnel présent de l’indicatif avec la valeur modale de l’éventualité.
2. 
Dans l’extrait suivant, identifiez les sujets des verbes soulignés et précisez leur nature :
« Écrire n'est pas tout à fait un choix : c'est un aveu d'impuissance. On écrit parce qu'on ne sait par quel autre biais attraper le réel. Vivre, sans l’écriture, me va mal, comme un habit trop lâche dans lequel je m'empêtre. » (lignes 7 à 9)
Le sujet du verbe « est » est l’infinitif « écrire ».
Le sujet du verbe « est » est le pronom démonstratif élidé « c’ ».
Le sujet du verbe « écrit » est le pronom personnel « on ».
Le sujet du verbe « va » est l’infinitif « vivre ».
3. 
Dans l’extrait suivant, analysez deux emplois différents de la virgule.
« Le récit m'échappe, il attend, ailleurs. Je ne parviens pas à éviter cet égarement. Consentir à me perdre est une étape de l'écriture. Consentir à perdre, aussi. À m'avouer vaincue, battue.  » (lignes 38 à 40)
Les trois fonctions de la virgule
1. Fonction prosodique et syntaxique :
  • elle marque les pauses de la voix liées aux groupes syntaxiques de la phrase.
  • elle sépare des éléments de même statut : juxtaposition de propositions, compléments, etc.
  • elle sépare les mots d’une énumération.
2. Fonction sémantique : elle isole un mot.
3. Fonction énonciative : elle peut marquer le changement énonciatif dans le discours rapporté. Ex. : Je viendrai, répondis-je, si…
Dans la première phrase, la première virgule permet de juxtaposer les deux propositions indépendantes « le récit m’échappe » et « il attend, ailleurs ». La deuxième virgule de cette phrase sert à isoler un élément de la deuxième proposition, l’adverbe « ailleurs ».
Dans les quatrième et cinquième phrases, on retrouve ces deux fonctions de la virgule : la première a une fonction sémantique, car elle isole le mot « aussi ». La deuxième a une fonction syntaxique, elle juxtapose les deux participes passés.
4. 
Dans l’extrait suivant, indiquez la fonction grammaticale de chaque groupe souligné. Proposez, pour chaque fonction, une manipulation qui vous permet de la justifier.
« Dans Le Mur invisible, un roman de Marlen Haushofer, une femme passe quelques jours de vacances dans un chalet, à la montagne. » (lignes 12 à 13)
Il existe trois manipulations linguistiques pour identifier la fonction grammaticale d’un mot ou d’un groupe de mots : déplacer, supprimer, remplacer
Pour identifier le sujet : dans l’ouvrage de référence de l’Éducation nationale « Grammaire du français », une seule manipulation est indiquée : celle de la substitution par un pronom personnel, un pronom démonstratif ou un nom propre. On peut aussi poser la question qui/qu’est-ce qui + verbe ? ou extraire le sujet avec « c’est… qui + verbe ».
Pour distinguer le complément circonstanciel et le complément du verbe :
  • En tant qu’élément facultatif de la phrase, le complément circonstanciel peut être déplacé et supprimé.
  • Le complément du verbe ne peut pas être déplacé, il peut être pronominalisé. Remarque : dans la Grammaire du français, les compléments essentiels de temps, lieu, mesure, etc., sont analysés comme des COD ou des COI.
Pour identifier les expansions du nom :
  • Elles peuvent être supprimées.
Le GN « une femme » est sujet du verbe « passe ». On peut le remplacer par le pronom personnel sujet « elle ».
Le GN « quelques jours de vacances » est le COD du verbe « passe » parce qu’on ne peut ni le déplacer ni le supprimer.
Le groupe nominal prépositionnel « dans un chalet » est complément circonstanciel de lieu parce qu’on peut le déplacer et le supprimer.
5. 
« Mes romans me baladent, ils me mènent en bateau. » (ligne 36)
a) Réécrivez cette phrase en transformant l’une de ses propositions en proposition coordonnée.
Mes romans me baladent et ils me mènent en bateau.
b) Réécrivez cette phrase en transformant l’une de ses propositions en proposition subordonnée dont vous préciserez la fonction.
Mes romans, qui me baladent, me mènent en bateau. La proposition subordonnée relative « qui me baladent » est apposée à l’antécédent « mes romans ».
6. 
Expliquez pourquoi « ce pendant » n’est pas écrit en un seul mot dans l’extrait suivant.
« …l’écriture a la beauté inquiétante de ce qui ne mène nulle part, et ce pendant des mois, parfois. » (lignes 33 et 34)
« Ce pendant » n’est pas un adverbe d’opposition dans cette phrase. Il s’agit du pronom démonstratif « ce » qui reprend la proposition précédente, « l’écriture a la beauté inquiétante de ce qui ne mène nulle part », et de la préposition « pendant » qui introduit le GN « des mois » pour former un groupe nominal prépositionnel qui est complément circonstanciel de temps.
II. Lexique et compréhension lexicale (3 points)
1. Expliquez en contexte le sens des mots « apatride » (ligne 35) et « baladent » (ligne 36).
L’adjectif « apatride » est composé » du préfixe négatif « a » et du radical « patri ». Il signifie « qui est sans patrie ». Dans le texte, il qualifie l’écriture comme un acte coupé de tout contexte.
Le verbe « baladent » personnifie les romans qu’écrit la narratrice. Il indique que ce sont les romans qui indiquent un chemin indéterminé à l’écrivaine par opposition à l’idée de plan préétabli du récit, de maîtrise de l’écrivain.
2. Donnez trois mots de la même famille que « certitude ». (ligne 31)
Il s’agit d’identifier le radical et d’ajouter préfixes et suffixes en pensant aux différentes catégories grammaticales possibles : nom, verbe, adverbe, adjectif.
Certifier. Incertitude. Certain/incertain. Certificat. Certainement.
3. Relevez trois procédés lexicaux (comparaisons ou métaphores, champs lexicaux…) qui caractérisent le travail de l’écrivain. Vous justifierez votre choix.
« … la langue n'est pas un objet inerte dont on se saisit et qu’on plie à sa volonté. C’est elle qui nous transforme, qu’on lise ou qu’on écrive. » (lignes 43 à 44)
La métaphore qui compare la langue, le matériau de l’écriture, à un «  objet inerte » est niée pour signifier qu’elle n’est pas un outil. Sa personnification par le verbe «  transforme » souligne cette idée qu’elle agit sur l’écrivain et non l’inverse. Le champ lexical des verbes d’action «  se saisit, plie » et «  transforme » met en lumière cette inversion des rôles.
III. Réflexion et développement (11 points)
« … la langue n'est pas un objet inerte dont on se saisit et qu'on plie à sa volonté. C’est elle qui nous transforme, qu’on lise ou qu’on écrive. » (lignes 43 à 44)
En vous appuyant sur le texte de Lola Lafon, de vos lectures et de vos réflexions personnelles, vous mettrez en lumière les différents pouvoirs de l’écriture. Vous présenterez votre propos de façon structurée et argumentée.
Le plan est induit par le sujet : un plan analytique est attendu pour décliner les différents pouvoirs de l’écriture, ceux indiqués par le texte enrichis par d’autres références.
Comme l’indique la fin du texte, ces pouvoirs de l’écriture concernent aussi bien l’écrivain que le lecteur.
Dans Quand tu écouteras cette chanson, publié en 2022, Lola Lafon explique le rôle que joue l’écriture dans sa vie et en conclut qu’elle a le pouvoir de nous transformer, que ce soit en lisant ou en écrivant. Dans un premier temps, nous verrons qu’il faut adopter une posture particulière pour que ce pouvoir puisse agir. Nous nous demanderons ensuite en quoi cela peut nous transformer, voire transformer le monde.
Lola Lafon explique que l’écriture est une façon particulière d’être au monde. Elle oppose ainsi ceux qui agissent dans le monde, avec une énumération de verbes d’action – « construira, donnera naissance, gravira, danser, faire des gâteaux » – à ceux qui écrivent. Le parallélisme de la phrase souligne cette opposition entre « saisissent » et « assiste ». Celui qui écrit n’est pas un acteur direct, mais un spectateur. Cependant, ce n’est pas non plus un rôle passif puisque, de son « poste d’observation », il accède et fait accéder à une autre dimension de la réalité. Cette posture est valorisée par l’opposition entre « les nuances » et le « vacarme », « les certitudes ». En effet, écrire, et donc lire, permet de prendre de la distance, de la hauteur par rapport à la réalité pour mieux l’appréhender, pour atteindre un autre niveau de compréhension de ce qui nous entoure. Charles Baudelaire compare ainsi, dans le poème « L’Albatros », le poète à ce « prince des nuées » dans la mesure où son « poste d’observation », qui se situe au-dessus du commun des mortels, lui permet de voir de plus haut, plus loin et ainsi de révéler ce qu’on ne voit pas. De même, Romain Gary affirme, dans Les Cerfs-volants, que « rien ne vaut la peine d’être vécu qui n’est pas d’abord une œuvre d’imagination, ou alors la mer ne serait plus que de l’eau salée ». L’écriture modifie ainsi notre rapport au monde.
La référence que fait Lola Lafon à la narratrice du Mur invisible souligne que cette posture peut être une question de survie. De façon moins dramatique, le narrateur de L’Enfant de Jules Vallès raconte comment la lecture de Robinson Crusoé lui a permis de supporter sa solitude lorsqu’il s’est retrouvé enfermé et oublié par le surveillant dans une salle d’étude. On pourrait aussi dire que, grâce à sa voisine qui lui ouvre sa bibliothèque, le narrateur de Petit Pays de Gaël Faye se protège, en se réfugiant dans l’écrit, du contexte du génocide rwandais.
Cette posture de l’écrivain et du lecteur par rapport au réel est liée à l’usage de la langue. Contrairement à l’idée classique de l’écrivain-démiurge qui décide de tout, Lola Lafon affirme que c’est l’écriture qui guide l’écrivain, « mes romans me baladent, ils me mènent en bateau », tout autant qu’ils « baladent » le lecteur. Elle ajoute que c’est un « geste apatride », c’est-à-dire qu’il permet d’être hors de nos habitudes, de nos mœurs pour mieux les analyser, les dépasser. Lola Lafon voit dans l’écriture un moyen pour l’écrivain et pour le lecteur d’aller là où il n’irait pas, de trouver de nouveaux chemins qu’il n’aurait pas parcourus, comme Montaigne qui comparait l’écriture des Essais à ses promenades, « à sauts et à gambades », c’est-à-dire hors de la doxa, de ce que l’on croit savoir parce que la langue n’est pas un matériau que l’on modèle. L’écriture a donc un pouvoir sur celui qui écrit ou qui lit.
Ananda Devi, une écrivaine francophone mauricienne, utilise la métaphore du caméléon pour définir l’écrivain. Comme l’animal qui change de couleur en fonction du contexte, l’écrivain change d’identité en fonction de l’histoire qu’il raconte. Cette autrice est, par exemple, le Dokter dans Le Sari vert, un homme raciste, violent et incestueux, et on se souvient des Bienveillantes de Jonathan Littell qui avait pour narrateur un officier nazi. L’écriture a ainsi le pouvoir de vivre par procuration d’autres vies que la sienne et surtout d’adopter un autre point de vue, aussi dérangeant soit-il. Ce pouvoir des mots est également contenu dans la notion de catharsis : ils font éprouver la terreur et la pitié pour purger les passions de ceux qui les lisent.
Alice Zeniter, dans L’autre moitié du monde, développe la même idée pour le lecteur : comme on ne peut pas vivre plusieurs vies, la lecture nous permet d’en vivre d’autres et ainsi d’enrichir notre perception de l’Autre, voire de nous-mêmes. Maryse Condé raconte ainsi dans Le Cœur à rire et à pleurer comment elle découvre que l’histoire des Antillais est liée à celle de l’esclavage grâce au roman La Rue Cases-Nègres de Joseph Zobel. Plus tard, ce sera la lecture des œuvres d’Aimé Césaire et de Frantz Fanon qui l’accompagneront dans sa quête mémorielle et identitaire. On peut dire qu’elle a été transformée par ses lectures, que ses choix de vie en ont été influencés.
Enfin, l’écriture peut aussi participer à la transformation du monde en construisant ou en déconstruisant les stéréotypes. Edward Saïd a bien montré comment l’orientalisme a participé à l’impérialisme occidental. À l’inverse, les Lumières ont pu déconstruire les fondements de l’esclavage, et les écrits féministes ceux du patriarcat, pour aboutir à de réelles transformations au fur et à mesure des siècles. Le mouvement actuel de l’écopoétique s’engage également pour transformer notre rapport à la nature. Mathieu Simonet, par exemple, propose des ateliers d’écriture à des élèves et des étudiants pour les sensibiliser au droit des nuages et les inscrire dans son combat poétique pour une légifération sur le droit des nuages face aux expériences d’ensemencement des nuages.
Même si la littérature ne sauve pas, ne permet pas d’éviter les guerres, les injustices et les discriminations, elle permet de ne pas se contenter de ce que l’on perçoit, de le mettre à distance, de l’analyser pour aller jusqu’aux différents fils, parfois invisibles à l’œil nu. Cette compétence langagière, en production comme en réception, est cruciale à développer chez les élèves pour leur offrir la possibilité d’être des individus et des citoyens.
Sujet corrigé réalisé par Cécile Vallée, professeure de Lettres au lycée et formatrice à l'INSPE.