Corrigé
Proposition de corrigé
Introduction
Les valeurs de la République sont mises à mal. Ce constat dressé par de nombreux chercheurs et philosophes en pousse même certains à se questionner sur la pertinence du maintien de ces principes tels qu'ils sont définis depuis plusieurs siècles. C'est le cas par exemple de la laïcité, dont la définition et l'application divisent les penseurs de l'éducation. Pourtant, on ne saurait se passer de tels principes organisateurs qui font de notre démocratie ce qu'elle est : d'abord politique, la démocratie est devenue sociale tout au long des cinq républiques qui se sont succédé. Abandonner les principes du pacte républicain reviendrait alors à abandonner l'âme de notre société. Il s'avère également que l'école est en France le ciment de la nation ; en effet, le fait de dispenser une formation de base commune à tous les élèves dans un cadre uniforme fait d'elle le terreau de la citoyenneté.
L'auteur de notre sujet, Abdennour Bidar, loin de vouloir redéfinir, voire expulser, l'un des termes du triptyque républicain, trop souvent oublié selon sa réflexion et souvent remplacé par le terme de « solidarité » dans l'esprit général, cherche à remanier l'ordre dans lequel les principes sont posés. Pour lui, la grande oubliée est la fraternité qui, pourtant, devrait être considérée comme le concept essentiel de la construction républicaine et démocratique. En tant que lien entre tous les hommes, en tant que reconnaissance en chacun de l'humanité qu'il porte, la fraternité doit être pensée comme principe premier, de façon à réaffirmer le lien qui unit les membres de notre société, au-delà de l'égalité et de la liberté, qui ne sont pensées qu'autour des droits et des devoirs qu'elles induisent. Ce qu'il s'agit en réalité de penser au regard de la fraternité, c'est l'égale dignité de tous les êtres humains posée par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, seul rempart contre les abus commis par les uns à l'encontre des autres. C'est pourquoi l'éducation se doit de se saisir de ces réflexions afin de redonner du sens à ses actions, le CPE en étant l'un des acteurs essentiels.
Les sociétés démocratiques sont organisées grâce à des valeurs héritées de systèmes philosophiques qui fondent en raison la reconnaissance de l'altérité et qui orientent le système d'éducation vers une transmission de cette notion fondamentale d'humanité. Si la fraternité doit être au cœur de la pratique éducative, quelles sont aujourd'hui les conditions de possibilité, compte tenu d'une certaine désillusion face aux institutions, d'une transmission par les acteurs scolaires – et notamment par le CPE – des valeurs républicaines et d'une citoyenneté pleinement consciente ?
Dans une première partie, nous expliquerons comment l'école s'est construite grâce au triptyque républicain sur une volonté politique de faire vivre la démocratie (I.) ; puis nous montrerons comment le système éducatif et les valeurs du pacte républicain se sont trouvés remis en cause (II.) ; et enfin nous montrerons que, malgré cela, le travail autour des valeurs de la République mené au sein des établissements scolaires vient répondre aux propos de l'auteur du sujet (III.).
I. La naissance des principes républicains et l'école
Les valeurs qui fondent actuellement notre République sont l'héritage, d'un point de vue philosophique, des philosophes des Lumières et, d'un point de vue politique, de la IIIe République, et notamment, en ce qui concerne l'école, des lois Ferry votées à partir de 1881. C'est à Jules Ferry en effet que l'on doit l'inscription au fronton des écoles de la devise républicaine : « Liberté, égalité, fraternité », même si ces valeurs sont inscrites comme principes de la République dès 1848. La volonté politique des républicains est alors de faire de l'école le lieu où tous les petits Français s'approprient des valeurs qui ne soient pas héritées de la culture familiale ou de la religion mais qui tendent à l'universalité. Il s'agit donc pour les « hussards noirs » (Dominique Schnapper, La Communauté des citoyens) d'instituer la nation en distillant une citoyenneté abstraite fondée sur l'assimilation de ces valeurs par le cœur des élèves. Ce que voulaient alors les républicains, c'était des hommes capables de voter pour un parti politique en leur âme et conscience de façon à annihiler toute forme de privilège lié à la royauté. Cependant, ces principes conservent leur caractère formel. Il ne s'agit pas de rendre l'égalité entre les hommes réelle dans les faits, mais de leur reconnaître une égale dignité, la démocratie n'étant envisagée à ce moment-là que du point de vue politique. En outre, si l'on doit alors parler de « fraternité », celle-ci exclut une frange non négligeable de l'humanité, car les femmes sont jusqu'en 1944 des citoyennes de seconde catégorie puisqu'elles n'ont pas le droit de vote. La politique reste donc une affaire d'hommes, et l'égalité en droits a elle-même encore des progrès à accomplir. Aussi, si la fraternité est posée en principe, on ne peut se contenter d'une républicanisation des enfants car, au sortir de l'école, chacun reste cantonné à sa condition : homme/femme, notable/ouvrier, etc. L'humanité reste divisée et l'accès de tous aux mêmes droits et aux mêmes chances de réussite est loin d'être acquis en dépit de l'essentialité du triptyque.
La démocratisation sociale s'amorcera donc plus tard, notamment sous Léon Blum en 1936. Au début du xxe siècle, Jean Jaurès ou encore Ferdinand Buisson pensent la République comme sociale ; puis Jean Zay, en 1936, impulse cette démocratisation de l'école en portant l'âge de la scolarité obligatoire de 13 à 14 ans. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, on peut dire que le concept de fraternité devient de plus en plus prégnant au sein de la pensée éducative. En effet, les Compagnons de l'Université nouvelle viennent remettre en cause l'ordre scolaire de Jules Ferry, qui séparait, à l'exception d'une poignée rassemblant les plus méritants, les classes sociales, malgré la volonté de faire de chacun un citoyen éclairé. En mettant en avant le fait que les combattants des tranchées mouraient de la même façon qu'ils soient paysans ou notables, les compagnons revendiquent la communauté sur les bancs de l'école. Vient ensuite le plan Langevin-Wallon en 1947, qui invoque des raisons similaires et établit un plan d'éducation plus juste. Il ne s'agit plus alors de républicaniser les enfants, mais de rendre la démocratie sociale en s'appuyant sur l'idée d'une égalité non plus formelle mais réelle. De façon concomitante, les personnels de l'éducation voient leur mission évoluer, l'instruction n'étant plus la seule à avoir de l'importance. La transmission de concepts abstraits au travers de maximes morales ne suffit plus. Il s'avère désormais crucial de permettre aux élèves de les mettre en œuvre au long de leur scolarité. Le surveillant général (1965), dont l'image était celle de l'autoritarisme dans le lycée hérité de Napoléon, vient surfer sur la vague de l'éducation nouvelle. En s'inspirant notamment des méthodes du scoutisme (fondé par lord Robert Baden-Powell en 1907) pour organiser les temps hors scolaires, il introduit l'idée que les apprentissages peuvent être étayés par la transmission de valeurs humaines. La solidarité, héritée de la fraternité, vient s'introduire dans les classes et les établissements.
Parallèlement, les méthodes d'éducation évoluent. Les mouvements de jeunesse et d'éducation populaires font notamment émerger l'idée d'une solidarité entre les générations et les élèves. L'éducation des enfants devient une préoccupation scientifique mais aussi politique. En effet, après la Seconde Guerre mondiale, la France en pleine reconstruction a besoin d'une main-d'œuvre qualifiée, apte à s'adapter à l'évolution des techniques industrielles. C'est l'école qui va former non pas seulement l'élite intellectuelle mais aussi l'élite ouvrière. Au fil des réformes – on peut citer, entre autres, celle de Capelle et Fouchet en 1963 –, l'idée d'une formation commune de base se fait jour. En 1973, Valéry Giscard d'Estaing tente même de formaliser cette culture commune, dont chaque enfant devrait pouvoir bénéficier. Il faut attendre 1975 et la réforme Haby pour voir naître le collège unique, qui accueille désormais toute une classe d'âge, de la 6e à la 3e, coïncidant ainsi avec la fin de la scolarité obligatoire. Cependant, cette réforme a lieu au moment où les bases économiques de la France commencent à vaciller. En effet, les chocs pétroliers de 1973 et 1979 sonnent la fin du plein-emploi consécutif des deux guerres mondiales. De nouvelles problématiques se posent alors. Comme l'école est devenue, par le truchement des volontés politiques et des progrès scientifiques, la distributrice par la diplomation des places socio-économiques (François Dubet, Les Places et les Chances), l'insertion se fait alors par l'emploi ; et dès lors que l'emploi vient à manquer, les institutions sont accusées de ne plus remplir leur rôle. Les valeurs prônées sont remises en cause, la société étant incapable de les mettre en œuvre.
Transition
Nous avons conclu cette première partie par l'un des facteurs qui ont, dès 1975, déstabilisé l'école dans ses valeurs. Or si ce facteur est essentiellement lié à l'économie, d'autres paramètres sont à prendre en compte dans la remise en cause des institutions et notamment de l'école. La reconstruction du pays après les deux guerres mondiales a aussi été permise par les différentes vagues d'immigration. Celles-ci ont amené en France des cultures et des modes de vie différents, mais, dès le départ, le système politique n'a pas su profiter de ses valeurs fondatrices pour enrichir la culture du pays. Ainsi, la laïcité, certes fondée sur la fraternité, n'a pas et n'est bientôt plus perçue comme protectrice mais comme limitatrice des libertés individuelles. Les valeurs républicaines sont même accusées de vouloir uniformiser les cultures. C'est dès lors à l'école que revient la lourde tâche, comme cela a toujours été le cas depuis Jules Ferry, d'instituer la nation et d'uniformiser la culture en absorbant toutes les cultures pour en retirer le meilleur. Voyons à présent quels mécanismes sont à l'œuvre et comment le système éducatif s'en est saisi pour se reconstruire et se réformer.
II. Les principes républicains et l'évolution de la société démocratique
Comme nous venons de le dire, les valeurs républicaines sont mises à mal depuis une petite quarantaine d'années. Des processus politiques et sociaux sont à l'origine des diverses remises en cause auxquelles nos institutions s'exposent.
La laïcisation de l'enseignement, qui avait pour objectif la laïcisation de la société en cherchant à créer des individus rationnels et raisonnables dans le choix de leur système politique, a désacralisé peu à peu les rapports sociaux. Marcel Gauchet, dans La Religion dans la démocratie, évoque comme conséquence de la sécularisation de la société, après 1905 et la loi de séparation des Églises et de l'État, l'émergence d'un désenchantement philosophique du monde. Selon lui, les individus se seraient détachés peu à peu du rôle protecteur et organisateur des principes et institutions (droits-libertés) régissant la société pour ne prendre en compte que les droits-créances et ne retenir des principes républicains que ce qui les arrange individuellement. Ce phénomène appelé « individualisme » entraîne la multiplication des revendications de sujets épars qui s'abstraient de la communauté sociale. De l'égalité formelle des principes est née une revendication d'égalité réelle qui tend à une volonté d'égalitarisme et qui peut nuire au bon fonctionnement de la société. En effet, les sociétés démocratiques sont fondées sur des principes de redistribution, comme l'explique John Rawls dans sa Théorie de la justice. Pour construire une société démocratique, chacun accepte les inégalités sociales, qu'elles soient liées à la naissance ou aux capacités propres des individus, si et seulement si celles-ci peuvent être compensées par un système politique de redéploiement des moyens au profit des plus faibles. Cette forme de justice sociale est le propre des démocraties modernes, un mélange d'élitisme et d'égalité des chances. La citoyenneté se définit, selon Jean-Pierre Obin, comme un ensemble de droits et de devoirs qui définissent l'appartenance à une communauté politique ; pourtant ce qui a tendance à nuire aux sociétés démocratiques modernes est l'oubli des devoirs au profit de la revendication des droits. L'égalité vient alors au premier plan et la société est sommée de compenser toutes les formes d'inégalité.
Cette volonté politique de justice sociale voit clairement le jour en France en 1981 lorsqu'Alain Savary crée les zones d'éducation prioritaire (ZEP) afin de donner plus à ceux qui ont moins. La politique d'égalité des chances ou de discrimination positive est très spécifique à la France. Elle est justement liée aux valeurs défendues par les droits de l'homme. Si les États-Unis mettent en place des politiques de quotas liés à l'appartenance à une communauté spécifique, cela est impensable en France, attendu que la laïcité protège justement contre ce type de considération. Entre en jeu également le principe de fraternité : les hommes étant tous doués d'une égale dignité quelles que soient leurs spécificités accidentelles, c'est sur les seuls accidents de vie que les politiques d'égalité des chances se fondent. Pour contrer ces inégalités sociales de base, c'est l'école qui est mise en avant. C'est à l'école de transmettre les valeurs de la société et c'est aussi à elle de tenter de compenser les inégalités d'insertion socioprofessionnelle par la diplomation. Cependant, elle échoue à mettre en œuvre une compensation collective, comme le montrent les derniers résultats des enquêtes PISA. Force est de constater que les inégalités sociales sont de plus en plus influentes sur les inégalités de réussite scolaire malgré tous les moyens mis en œuvre. Pourtant, nous nous refusons à abandonner ce principe de justice sociale, comme l'explique François Dubet, car cette dernière est liée à l'idée de fraternité. Ce n'est pas parce que les politiques de compensation échouent que nous sommes prêts à les abandonner, en témoignent les diverses réformes de l'éducation prioritaire menées jusqu'à aujourd'hui.
Ces réformes de l'éducation prioritaire, d'un point de vue pédagogique et financier, se sont toujours accompagnées de plans de lutte contre la violence en milieu scolaire, dans le but de rasseoir les valeurs républicaines. En effet, la violence s'est introduite à l'école à la suite des désillusions que nous avons évoquées plus haut. Lorsqu'une institution est jugée inutile par la population et que ses valeurs ne répondent pas aux attentes de la communauté, celle-ci se trouve attaquée. Au sein de l'école, la violence est devenue depuis les années 1980 « anomique », pour reprendre la terminologie de Jacques Testanière. Elle vient déstabiliser les enseignements mais aussi la façon dont les valeurs de la République influent sur le comportement présent et futur des élèves, une fois sortis du système scolaire. C'est pourquoi, à partir de juillet 2000, la sanction est devenue un point d'ancrage de l'éducation à la citoyenneté en calquant son fonctionnement sur la légalité et le droit. C'est à cette date que la tâche du conseiller principal d'éducation (CPE) dans son rôle d'éducation à la citoyenneté a pris une dimension dépassant la simple animation éducative. Ce professionnel de l'éducation s'est placé en tant que conseiller technique du chef d'établissement (IGEN 2006) ; et, durant une quinzaine d'années (jusqu'en 2014), il s'est positionné sur la façon d'envisager la sanction pour la rendre éducative et profitable à l'élève sanctionné mais aussi à la communauté atteinte par son geste. Il s'agit alors de remettre en avant l'idée du devoir dans l'acte citoyen, chacun a le devoir de respecter tout autre et de ne pas lui nuire. Dans bien des cas, c'est la tâche du CPE de venir expliciter la sanction et de replacer l'élève sanctionné dans un contexte social. La sanction, comme l'explique Eirick Prairat dans La Sanction en éducation, vient sanctionner un acte et non une personne. C'est dans cette perspective que l'on peut réintroduire le principe de fraternité.
Transition
Les réformes du système éducatif n'ont fait que tendre vers une démocratisation sociale de l'enseignement fondée sur l'idée que tous les êtres humains, les enfants en premier lieu, possèdent au départ les mêmes capacités, les mêmes chances de réussite que les autres. Pour autant, les accidents de parcours dus à divers paramètres, comme l'origine socio-économique des parents, viennent ternir ces chances et c'est pour cette raison que les politiques ont fait le choix d'axer cette compensation sur l'école. Il s'agit alors de comprendre l'évolution de ces réformes qui tendent à rendre des citoyens à la nation capable de rationaliser leur insertion sociale. Si l'école est fondée sur le principe de fraternité, elle ne peut que tendre à cet idéal de justice sociale.
III. La réaffirmation des principes républicains, les enjeux actuels pour l'école
Il s'agit dans un premier temps de redonner du sens aux principes non pas seulement pour les élèves, mais d'abord et avant tout pour ceux qui les forment, à savoir l'ensemble des personnels d'un établissement. La réforme de la mastérisation en 2010 s'est ainsi accompagnée de plusieurs réformes des concours de recrutement des enseignants. Dans un premier temps, la volonté politique a été de donner une culture commune aux enseignants, sanctionnée par une épreuve intégrée à une leçon, nommée « Agir en fonctionnaire de l'État de manière éthique et responsable » ; puis cette épreuve a été abandonnée au fil de la réforme de la formation des enseignants pour revêtir aujourd'hui le nom de « culture commune ». Cette dernière s'accompagne de compétences spécifiques pour les enseignants, qui font écho au socle commun de connaissances, de compétences et de culture pour les élèves. Cette culture commune des enseignants a notamment pour fonction de faire naître chez eux le sentiment de leur mission, de ce que c'est que d'être fonctionnaire et d'éclaircir les valeurs qui s'y rattachent. En effet, on ne peut transmettre que ce que l'on connaît, que ce que l'on a fait sien, et cette appréhension des valeurs dépasse les compétences didactiques en tant que telles. Pour former le citoyen, il faut d'abord savoir ce que la citoyenneté implique pour soi. Une citoyenneté consciente d'elle-même pour celui qui transmet son savoir ne peut que l'encourager à transmettre des savoir-être.
Mais cela n'a visiblement pas suffi à faire passer le message nécessaire car, en 2013, les bases de l'éducation morale sont posées. Tous les personnels sont invités à s'approprier cette éducation morale au travers de leur fonction. Le conseiller principal d'éducation est d'ailleurs clairement mentionné en tant que porteur et diffuseur de valeurs au sein de l'établissement scolaire. Il lui revient donc, au travers de ses missions fondées sur la circulaire de 2015, d'organiser des lieux et des temps où les élèves peuvent se confronter à ce qui dépasse le cadre des apprentissages scolaires. Le « Parcours citoyen » encadre d'ailleurs cette transmission. La réforme du collège de 2016, dont les EPI ont pris effet à la rentrée 2016, s'enroule autour d'un nœud formé par les valeurs de la République, aucune action n'étant possible si elle n'est pas profondément ancrée sur ces valeurs. Si la fraternité, longtemps oubliée comme le précise l'auteur du sujet, préoccupe actuellement, c'est que l'on oublie parfois que les élèves sont des êtres humains, dont nous devons éveiller la conscience. Par le biais d'action sur le développement durable et la labellisation d'établissements, on peut tenter de faire prendre conscience de la notion d'humanité aux élèves. Mettre en place des actions pour la préservation de la planète n'impacte pas seulement le présent, mais est gage de la continuité de l'humanité dans le futur, car la solidarité entre les générations est fondée sur une idée de la fraternité universelle entre tous les hommes.
La formation du citoyen ne peut donc faire l'économie d'une réflexion sur la portée politique (au sens d'organisation de la société) des actes éducatifs, et de repenser ses valeurs. Il ne suffit donc pas par exemple d'édicter une Charte de la laïcité, encore faut-il que les élèves comprennent les enjeux de cet affichage. C'est un concept difficile à appréhender pour les adultes, même pour les chercheurs, qui ne sont pas d'accord sur la façon dont les éducateurs et le monde politique doivent l'envisager. Henri Pena Ruiz et Jean Baubérot n'ont par exemple pas le même positionnement quant à sa mise en œuvre. Quand l'un propose de maintenir sa définition telle qu'elle figurait en 1905, l'autre la souhaite plus ouverte, montrant notamment que la laïcité est trop souvent perçue comme étant une option antireligieuse alors qu'en réalité elle doit protéger toutes les options spirituelles. La laïcité à la française est trop souvent envisagée comme une forme d'athéisme. Or ce sur quoi sont d'accord les deux auteurs précédemment cités, c'est que la laïcité doit protéger et non lutter contre. Elle doit permettre justement de retrouver ce lien de fraternité qui fait que chacun voit en l'autre un homme égal à soi. C'est précisément pour lutter contre ce qu'Emmanuel Levinas décrit dans l'Humanisme de l'autre homme, à savoir la négation dans les camps de concentration de l'humanité de l'autre, qu'il est important de se rappeler le fondement de notre système politique et l'idée de justice qui lui est liée. Dès lors que nous reconnaissons l'autre comme d'humanité égale, alors on ne peut qu'accepter les différences accidentelles qui existent entre nous. Si l'on perd de vue l'essence, l'humanité, alors tout est permis ; or il n'est pas dans l'intérêt d'une société que chacun soit en guerre contre chacun. Les personnels d'un établissement scolaire doivent être exemplaires sur ce point, ne jamais perdre de vue l'humanité des élèves, toujours les traiter avec le plus grand respect de leur dignité, et lutter contre les techniques de dressage décrites par Pierre Merle dans L'Élève humilié. Nous avons parlé plus haut du rôle du CPE relativement à la sanction ; si l'élève doit comprendre la portée de ses gestes, il n'est pas question de mettre en œuvre la loi du talion. La fraternité traverse donc les générations et la façon dont l'une prend en compte l'humanité de la suivante.
Conclusion
Il est complexe de réfléchir sur les valeurs républicaines tant leur interprétation peut diverger d'un point de vue social mais aussi scientifique. Si l'auteur de notre sujet s'est attardé à réfléchir au principe de fraternité, c'est peut-être parce que celui-ci est le seul à pouvoir faire l'unanimité. Seules les sociétés comme les systèmes totalitaires, dont les principes sont viciés à la base, peuvent se permettre de nier l'existence d'une solidarité humaine, de l'humanité de tout homme même. C'est à l'école de préserver et de transmettre cette importance cruciale de l'humanité de chaque être humain et de son égale dignité. L'école est actuellement considérée comme l'un des remparts au communautarisme et à l'intolérance. La mission des personnels n'est pas à prendre à la légère dans cette affaire. Les principes ne se transmettent pas d'eux-mêmes, il s'agit, pour que les choses fonctionnent, de les incarner et c'est peut-être là l'essentiel de ce qui devrait préoccuper le corps éducatif dans son ensemble.