Violence scolaire à l'école
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Introduction

Introduction

Menaces, insultes, agressions, coups, blessures à vie… Voilà à quoi peut ressembler le quotidien de femmes, d'hommes pour qui aller chaque jour au travail devient une épreuve, un combat, un affrontement. La violence. Les violences à l'école. On en parle, un peu. Beaucoup, si les faits divers sont marquants. Puis on passe à autre chose. On oublie ceux pour qui l'enfer continue. Comment tout cela est-il vécu par les acteurs en première ligne ? Pour mieux comprendre, laissons la parole aux enseignants.
La rentrée scolaire 2012 s'est démarquée par une épidémie spectaculaire de faits divers particulièrement durs. « Un épiphénomène ? » Le service de presse du ministère de l'Éducation nationale, interrogé pour ce dossier, précise que « la violence physique reste rare ». Même s'il n'est pas question ici de véhiculer l'image d'une école barbare, il n'est pas question non plus de taire la voix des professeurs agressés, tyrannisés, brutalisés, menacés, maltraités, pour le simple fait d'exercer leurs fonctions. Il n'est effectivement pas question que de coups. Ce qui reste le plus difficile pour les enseignants, notamment au collège, ce sont les trop nombreuses incivilités. Beaucoup d'adolescents refusent l'autorité et entraînent dans leur sillage leurs camarades. Dès lors, en tant qu'adultes, en tant que passeur de savoir, comment tenir bon, confronté quotidiennement à ce phénomène ?
© Chris Whitehead / Getty images
Un quotidien accablant

Un quotidien accablant

Spécialiste du sujet et homme de terrain, Éric Debarbieux et la Fédération des autonomes de solidarité ont mené une longue enquête sur la violence vécue dans les établissements scolaires, par le personnel de l'Éducation nationale. Il ressort de cette étude – menée auprès de presque 12 000 personnes – des agressions multiples, aussi bien physiques que verbales. Les résultats sont frappants, ils soulignent le malaise, le ras-le-bol et l'importance des inégalités sociales. Et même si 91 % des personnels estiment le climat scolaire positif, et que 95,6 % s'estiment en sécurité personnelle dans leur école, un quart des jeunes profs ont une vision négative de leur profession et de son contexte. Ils sont les premières victimes de violence de la part de leurs élèves, surtout en zone d'éducation prioritaire (ZEP), où ils sont deux fois plus touchés par le phénomène.
Yannick – professeur d'anglais dans un collège dit « sensible » en région Centre, depuis 5 ans – livre un récit en parfaite cohérence avec le rapport Debarbieux et la Fédération des Autonomes de Solidarité. Il décrit avec beaucoup de sang-froid un « quotidien accablant ». Et quand bien même il n'a jamais été victime d'une agression physique, il ne compte plus les insultes, les menaces ou les conflits journaliers. « Ce qui m'inquiète le plus, c'est la manière dont les élèves s'expriment. Même bien éduqués, ils ne communiquent que de façon belliqueuse : entres eux, avec moi, avec leurs parents. Il n'existe pas de double jeu, entre l'établissement et la maison. Ils utilisent donc en permanence des mots blessants et vulgaires. S'en aperçoivent-ils ? Je me demande comment cela peut évoluer. » Le jeune homme s'estime encore « chanceux » de pouvoir décrypter certains éléments de langage que ses confrères plus âgés ne parviennent même plus à décoder.
Les actes physiques

Les actes physiques

Si la souffrance de ce jeune professeur est quotidienne et qu'il songe à se réorienter, il a tout de même conscience d'échapper au pire : la brutalité. « Au premier acte physique, je me retire tout de suite » confie-t-il. Parmi les personnels de l'Éducation nationale interrogés, 2,2 % disent avoir été agressés physiquement, nous apprend le rapport Debarbieux. Quand bien même étiquetés comme « épiphénomènes » par le ministère de l'Éducation nationale, certains faits divers sont inacceptables. Et bien souvent, les victimes ont le sentiment que leur malheur ne trouve aucun écho. Aucune leçon n'en est tirée.
Pour pallier cela et briser le silence, l'association SOS Éducation a mis en place un site, véritable observatoire de la souffrance des acteurs de l'Éducation nationale. C'est par l'intermédiaire de la structure, que nous avons pu approcher cette enseignante et lui permettre de revenir sur une histoire tue par la direction de son établissement. À l'époque, elle devait effectuer un remplacement d'une année, dans une classe de CE2 : « Au mois de mars 2011, un enfant de la classe a décidé de ne pas travailler. Il s'est mis à courir dans la classe, hors de contrôle. Après lui avoir ordonné en vain de s'asseoir, je l'ai poursuivi. Il a alors tout renversé sur son passage, a jeté l'ordinateur, puis a tenté de me lancer une chaise à la figure. Enfin, tandis que je le ceinturais, il m'a roué de coups de pieds.
Cet incident n'a donné lieu à aucun renvoi et cet élève n'a pas voulu ouvrir un cahier pendant 3 semaines. La situation est devenue intenable, l'enfant m'insultait du fond de la classe pendant les cours, ma hiérarchie m'a conseillée de demander un changement de poste pour me reposer. J'ai fini par le faire. Je suis partie sans pouvoir dire la vérité sur mon départ, car ma direction ne le souhaitait pas. »
0,04 % de trop

0,04 % de trop

Heureusement, tous les heurts ne sont pas tus. L'histoire de Karen Montet-Toutain, a même fait le tour des médias. Enseignante en arts plastiques dans un lycée professionnel, la jeune femme a reçu 16 coups de couteaux par un de ses élèves, en plein cours. Elle avait auparavant alerté sa direction sur les comportements de ce dernier, en vain. Suite à cette terrible histoire, sa vocation brisée, la jeune femme se mobilise. Elle souhaite servir d'exemple pour alerter le grand public. « Si l'on continue de traiter par le mépris à la fois cette jeunesse aux abois et les professeurs qui tentent de l'ouvrir à d'autres horizons que ceux de la délinquance, c'est toute la société qui se retrouvera en danger ». Explique-t-elle à travers son ouvrage Et pourtant je les aime.
Depuis, Karin Montet-Toutain met en lumière d'autres victimes, à l'ombre des projecteurs, elles aussi victimes. La jeune femme nous a mis en relation avec Jean-Claude, professeur de collège à Tourcoing. Réprimandant à maintes reprises un de ses élèves pour ses retards à répétition et las du manque de réaction du retardataire récidiviste, Jean-Claude prévient l'établissement et convoque les parents. Quelques jours plus tard, l'adolescent profite de l'intercours et poignarde son professeur à trois reprises. Il lui administre deux coups de couteaux dans le dos – dont un qui lui perfore le poumon et un troisième à la main, alors que Jean-Claude tente de se protéger.
L'adolescent qui à l'époque suivait une 4e SEGPA, une section réservée dans les collèges aux élèves en difficulté scolaire majeure, ne faisait pas partie des jeunes à problèmes. Il justifiera plus tard son geste par un désir de vengeance.
Ces faits de violence avec armes sont plus que rares : 0,04 % des personnels, nous rappelle Éric Debarbieux. Aussi rares soient-ils, ils n'en demeurent pas moins consternants et nous sommes amenés à nous interroger sur ce qui conduit la jeunesse à de telles violences.
Des jeunes livrés à eux-mêmes

Des jeunes livrés à eux-mêmes

Les enquêtes montrent qu'il existe depuis une trentaine d'année une montée des agressions anti-scolaires. Pour Yannick, le professeur d'anglais, précédemment évoqué, l'accroissement des violences à l'école est une conséquence directe de la crise économique. « Les jeunes sont livrés à eux-mêmes, leurs parents travaillent de plus en plus loin ». Le jeune professeur déplore l'inexistence de structures extrascolaires, qui permettraient aux élèves d'être cadrés et de canaliser leur agressivité.
Ce qui revient comme source de violence dans tous les témoignages, c'est l'échec scolaire. « La déception de soi, dégénère et conduit au passage à l'acte des élèves », affirme Jean-Claude. Tous espèrent que l'Éducation nationale s'achemine vers un nouveau modèle éducatif. Ils jugent le système d'évaluation à la française, trop sévère. Pour Jean-Claude, « il faudrait procéder à une réorientation, sans que celle-ci ne soit synonyme d'échec. Il est important de contourner la spirale du décrochage de manière à permettre de leur redonner le goût de réussir dans de nouvelles classes. »
Une enseignante d'histoire dans un collège de proche banlieue dont nous dévoilerons plus tard le témoignage, affirme que la violence des jeunes au sein des établissements scolaires n'a rien de nouveau. « Tout adulte qui garde un souvenir objectif des cours de récréation sait que la loi du plus fort s'y exerce souvent, et l'école de "pépé" à la Pagnol avec une classe soumise, c'est du bluff ». Ce dont l'historienne est persuadée, c'est qu'à chaque époque les agressions prennent des formes nouvelles et la société y réagit en fonction de valeurs et de critères contemporains.
Impuissants face aux troubles

Impuissants face aux troubles

Le témoignage que nous livre cette enseignante est loin d'être un cas isolé. Cette dernière a vécu une année particulièrement éprouvante, l'an passé. À la rentrée, sa direction lui apprend, qu'elle va devoir gérer seule, pendant quelques semaines un élève atteint du « trouble du spectre autistique ». Un enfant autiste, donc. Habituellement, il existe un auxiliaire chargé du suivi individuel pour ces enfants. « Je n'étais préparée en rien, j'ai dû subir l'agressivité et la violence de cet élève, qui perturbait aussi ses camarades. Le tout, sous la pression qui consiste à se taire, à ne rien dire et à supporter sous peine d'être mal jugée. »
Le phénomène est loin d'être minoritaire. Le rapport Debarbieux nous apprend que 37 % des professeurs interrogés reconnaissent avoir eu des problèmes fréquents avec des enfants atteints de troubles ou « gravement perturbés ». La professeur d'histoire interviewée s'estime impuissante et désemparée face à ce genre de situation. « J'ai pourtant 12 ans d'ancienneté, je demande juste à être aidée par des spécialistes formés. », Comme elle, beaucoup de membres du corps enseignant déplorent la disparition du réseau d'aide spécialisée aux enfants en difficulté (RASED).
Sortir les enseignants des difficultés et des conflits

Sortir les enseignants des difficultés et des conflits

Le cœur des demandes et ce qui ressort de chaque témoignage, c'est une vraie nécessité de socle. « Nous avons absolument besoin d'une formation initiale solide, en cohésion avec notre réalité, puis d'une formation continue », déplore Jean-Claude. Une demande qui corrobore les observations du rapport Debarbieux. Il nous apprend en effet que les personnes prédisposées à subir des violences à l'école sont celles qui ont « une formation lacunaire en terme de gestion de classe » et une « méconnaissance de la réalité scolaire ».
Le soutien de la hiérarchie et les rapports parfois chaotiques avec cette dernière sont régulièrement évoqués. « Notre parole est systématiquement remise en doute. Il arrive trop souvent que la direction ne veuille pas faire de vague, auprès des parents ou de l'opinion publique » observe l'enseignante dont les heurts avec l'enfant de CE2 ont été passés sous silence.
Yannick, encore aux prémices de sa carrière reconnaît qu'il n'a bénéficié d'aucune défense, ni pour gérer les relations avec les parents, ni apprendre à tenir une classe dissipée. Il conclut alors sur cette remarque : « c'est comme s'il fallait naître avec toutes ces facultés. On nous dit que ça va rentrer tout seul avec un peu d'expérience du terrain. Mais "prof" ce n'est pas qu'une vocation, c'est aussi un métier que l'on doit nous apprendre ».
Solidarité enseignante

Solidarité enseignante

En 2008, la MAIF et les Autonomes de solidarité laïques se sont unies pour mettre au point une offre multirisques professionnelle à l'intention des personnels d'éducation. Aujourd'hui, elle compte plus de 460 000 adhérents.
Pour 40 euros par an, les enseignants bénéficient d'un soutien moral et psychologique en cas d'accidents ou d'agressions. L'offre assure également une prise en charge des frais et honoraires d'avocat et des conseils personnalisés en cas de litige. Roger Crucq, Président de la FAS nous explique que cette offre est née de la solidarité enseignante. « Il n'y a pas mieux que des personnels d'éducation pour protéger des personnels d'éducation ! C'était vrai il y a 110 ans, ça l'est encore aujourd'hui. »
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Dossier réalisé par la MAIF, novembre 2012.