La décision
• En première instance
À la date des faits, il n'existait aucune réglementation relative à l'organisation d'une sortie en raquette hors piste qui définissait de manière précise les moyens d'encadrement et de sécurité des personnes, le degré de compétence des usagers et la qualification éventuelle des accompagnateurs.
La pratique des raquettes est assez facile et ouverte à quasi-tout le monde, et en quelque saison que ce soit. Même si le risque zéro n'existe pas en montagne, la zone où s'est produite la coulée de neige n'était pas connue comme dangereuse.
Les professeurs se sont totalement impliqués dans la préparation de la sortie, chacun des prévenus avait connaissance du bulletin météo qui est utilisé comme aide à la décision, la présence du drapeau à damiers
(6) n'ayant plus sa signification initiale compte tenu de sa présence quasi constante sur le territoire toute la saison.
Par conséquent, tant les professeurs, le directeur du centre, les simples accompagnateurs, que les professionnels qualifiés s'en sont remis au guide de haute montagne, connu pour son professionnalisme.
En fait, le manteau neigeux ne présentait aucun signe perceptible de l'existence de plaques à vent, l'inclinaison de la pente n'était pas en soi un risque important, et l'accident est indubitablement dû à l'imprudence du guide. Ce dernier bien qu'il se soit rendu compte de la présence d'une couche de neige dure
(7), a néanmoins progressé dessus, suivi d'un élève, puis a à nouveau transité dessus, pour la contourner et faire une trace.
C'est la marche à deux reprises sur la plaque à vent qui a eu un effet de surcharge et a déclenché l'avalanche. Le guide a été négligent dès sa première progression sur la plaque à vent qu'il avait détecté : la prudence lui imposait de la contourner.
La cause certaine de ce terrible accident réside dans la manœuvre imprudente du guide. La peine est de deux ans de prison avec sursis et une amende de 1 200 euros (le montant des dommages et intérêts dépasse largement les 150 000 euros).
La relaxe est prononcée pour le directeur du centre et le professeur d'EPS.
• En appel
Les parties font appel :
Sur les responsabilités
Le minimum des obligations personnelles de l'enseignant emmenant des élèves dans une activité extrascolaire est d'avoir une culture suffisante de cette activité. Elle lui permet d'appréhender les risques encourus afin d'être à même de décider pendant la préparation et sur le terrain si ceux-ci sont ou non acceptables pour les élèves dont il est le premier responsable.
Certes, aucune activité humaine n'est dépourvue de risque, mais le risque autorisé pour des mineurs ne saurait excéder celui pris dans des activités normales de la vie courante. Parmi elles, les activités sportives et de plein air sont normales à cet âge, dès lors qu'elles ne requièrent pas l'emploi par les enfants de techniques de sécurité.
Il est par ailleurs constant que le jour des faits, aucune réglementation constituant un règlement (au sens de l'article 121-3 du Code pénal) ne s'appliquait à l'activité de sortie en raquette d'un groupe scolaire.
Le but pédagogique du séjour était le perfectionnement des enfants en ski et la découverte du milieu montagnard. Il résulte notamment du rapport de l'inspecteur général de l'Éducation nationale que le séjour avait été normalement préparé. Les parents avaient été informés de façon complète du projet et de sa place dans le projet pédagogique de cette classe de 4e « sport ». Une initiation à la randonnée à ski était programmée à la fin du séjour pour les meilleurs éléments du groupe, mais il avait été décidé de faire participer tous les élèves à la randonnée prévue avec le souci de ne pas faire de différence entre les uns et les autres.
1. Quant au choix et à la préparation de la randonnée
À la suite de l'observation des élèves lors de leurs prestations à ski, le niveau du groupe a été jugé insuffisant par l'encadrement technique et les enseignants pour effectuer en sécurité suffisante une sortie à ski de randonnée en raison notamment de la difficulté manifeste de la plupart à skier en toutes neiges.
Celle-ci a été remplacée par une randonnée en raquette, déjà envisagée avant même l'arrivée du groupe. Ainsi que l'a exactement retenu le tribunal, la dénivellation très moyenne de la sortie et l'absence de technicité de la marche en raquette, dès lors que de l'élève « attrape » le coup de ne pas se marcher sur les pieds, étaient parfaitement compatibles avec les possibilités de jeunes de 13 à 14 ans effectuant 7 heures de sport par semaine. En vue de cette randonnée, ils avaient suivi une préparation physique adaptée. Ils venaient en outre d'effectuer trois jours de ski. Il a été noté que les enfants parlaient abondamment ou même chantaient en marchant, ce qui est le signe d'une aisance physique certaine, même si l'effort demandé n'était pas du goût de tous.
2. Quant à l'encadrement et au matériel
L'encadrement, à raison d'un adulte pour 5 à 6 adolescents dont un professionnel titulaire d'un brevet d'État pour chacun des deux groupes finalement formés, était très largement suffisant.
Le fait de ne pas avoir emporté les Arva, avec d'autres pelles et d'autres sondes que celles portées par le guide, est moins compréhensible d'autant que le matériel était disponible au centre. L'emploi de ces appareils était quasiment obligatoire et systématique depuis au moins quinze ans dans les clubs de montagne et dans les institutions pratiquant le ski de randonnée, voire à l'occasion de certaines courses à pied en montagne présentant des risques objectifs d'avalanches.
Pourtant, alors que les dangers sur neige en raquette sont au moins aussi importants qu'à ski, voire même supérieurs, car les skis permettent de manœuvrer rapidement et peuvent être déchaussés rapidement en cas de nécessité, force est de constater que l'usage d'emporter les Arva pour une randonnée en raquette en groupe institutionnel n'était pas suffisamment établi en janvier 1998. Par conséquent, l'absence d'Arva à cette époque ne peut être considérée comme une faute pénale. C'est en fait la catastrophe elle-même qui a provoqué dans le milieu montagnard la prise de conscience que la raquette pouvait être aussi dangereuse que le ski de randonnée ou hors piste et a entraîné un changement des pratiques, tandis que de leur côté les pouvoirs publics ont édicté une réglementation applicable aux mineurs.
3. Quant à la décision de partir en randonnée
Le bulletin nivo-météo comporte deux parties, une partie texte décrivant les risques en fonction de différents paramètres et une partie chiffrée indiquant le niveau de risque par rapport aux pentes décrites.
Autrement dit, le niveau 2 voire 1 peut suffire à l'accident pour peu que l'on aille au mauvais endroit, alors que l'on peut évoluer en toute sécurité par niveau 4 ou 5 selon l'endroit choisi : La bonne question est alors « où peut-on aller en sécurité ? ».
Il s'agit de bien choisir l'endroit où l'on va en fonction des risques qui peuvent se présenter et que l'on accepte de prendre.
En l'espèce, l'itinéraire prévu se déroulait précisément sur un espace au départ relativement plat et comportant une piste de ski de fond restée ouverte, plus redressé par la suite, mais pour l'essentiel boisé sans grandes pentes raides. Il s'agissait d'un terrain dédié au ski de fond et à la raquette voire à l'initiation au ski de randonnée. C'est même le terrain de repli idéal devant une situation avalancheuse. Le seul point éventuellement dangereux était le court passage raide et déboisé de 40 ou 50 mètres de dénivelé pour atteindre l'arrête, là où précisément s'est produit l'avalanche.
Toutefois, les différents bulletins nivométéo ne faisaient pas état de risques de formations de plaques à vent dangereuses, c'est-à-dire « sous le vent » sur ce versant d'ascension. Ce passage qui n'était pas spécialement choisi au départ aurait pu être facilement évité en continuant à cheminer sous bois pour parvenir à l'arête en un autre point au prix, il est vrai, de plus de temps et d'un supplément d'effort.
4. Sur la conduite de la course
Depuis l'itinéraire emprunté, jusqu'au pied du raidillon
(8) final, n'était visible aucun signe de danger d'avalanche au lieu considéré, ce qui joint à l'information que l'arête avait été « faite » la veille sans difficulté particulière et autorisait son passage.
À partir de la séparation des groupes, le guide se trouve matériellement en tête du groupe et devient par là même le seul responsable de conduite de la course choisissant l'itinéraire et marquant le rythme de la progression.
Les autres adultes, une fois leur accord donné pour la poursuite de la course, ne sont plus en situation d'intervenir, et c'est là que l'on rentre dans le domaine de la spécificité technique de l'intervenant extérieur.
Les temps de repos ont été pris, tous les en-cas avaient été distribués, le rythme était plutôt relâché, et le retard sur l'horaire est le résultat de la taille du groupe et d'une conduite de course bienveillante plutôt que d'une fatigue particulière.
L'itinéraire final a été à peu près suivi, le guide ayant pris une trace de ski favorable, sans doute celle du garde forestier monté la veille sur l'arête. Le mécanisme de déclenchement a été une cassure de la plaque récente dans la zone la plus fragile, soit la partie la plus convexe. Il est possible que la cassure ait été provoquée, soit par le passage du groupe de tête sur la plaque dure avant qu'il ne fasse demi-tour, soit à distance lorsque le guide est passé sur la plaque friable.
La cour a retenu que le guide, s'étant rendu compte qu'il était sur une plaque à vent, a eu un comportement fautif en ne faisant pas immédiatement contourner celle-ci par le groupe, qu'il a au contraire tardé à empêcher de s'y engager provoquant la cassure.
Le 13 janvier 2000, la cour confirme par conséquent le jugement de première instance(9) : - le guide est le seul responsable,
- le professeur d'EPS a accompli les diligences normales dans la préparation et la surveillance du séjour en montagne de la classe dont il était responsable, il est relaxé,
- le directeur du centre a fourni un encadrement professionnel et des moyens matériels suffisants au regard des usages alors en vigueur lors des randonnées en raquette à neige, il est relaxé.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II, avril 2011.