La décision
• Le jugement de première instance : absence de faute de surveillance mais faute de négligence
Sur l'absence de faute de surveillance
L'accident s'est produit dans des circonstances particulières. C'était la fin de l'année et la classe préparait son départ en classe de neige. L'ambiance était joyeuse (goûter, musique). Certains enfants dansaient, d'autres jouaient. Le maître était occupé à organiser l'aménagement intérieur d'une malle destinée à la classe de neige.
Comme il fallait aérer la pièce, l'enseignant avait ouvert le châssis bas de la fenêtre se trouvant la plus proche de lui. Il n'a pas vu l'enfant s'asseoir sur le rebord de cette fenêtre, ni tomber.
Le tribunal ne se place pas sur le terrain de la faute de surveillance. Il retient que la pédagogie moderne implique souplesse et autonomie dans les mouvements des enfants. Le maître est un éducateur, non un surveillant, et ne peut « raisonnablement avoir les yeux constamment fixés sur chacun des élèves ». Il ne peut, par exemple, lorsqu'il écrit au tableau suivre tous leurs mouvements. Il n'est pas retenu, à la charge de l'enseignant d'avoir laissé sa classe sans surveillance le temps où il rangeait la malle. Cette affirmation explicite de l'absence de faute de surveillance, aurait pu dégager l'enseignant de toute responsabilité.
Mais cela n'a pas été le cas puisque le tribunal a retenu contre l'enseignant une faute de négligence et d'imprudence.
Sur la faute de négligence et d'imprudence : l'ouverture de la fenêtre
La plus grande liberté laissée aux élèves, engendrée par le souci pédagogique de leur autonomie, implique la nécessité d'une particulière attention à la sécurité dans l'environnement des enfants. Ce jour-là, la liberté des enfants était accrue puisqu'ils pouvaient se déplacer de tables en tables pour changer de jeu, faire passer de la musique ou danser. Il appartenait à l'enseignant de veiller particulièrement à la sécurité des conditions d'occupation de la classe. Il aurait dû se soucier de ne pas ouvrir, ou de refermer le châssis bas de la fenêtre, d'autant que l'aération de la salle pouvait s'effectuer sans difficulté par l'ouverture du châssis central et ceci pendant la récréation. Il lui est particulièrement reproché de ne pas avoir pris cette mesure parce qu'il savait que s'asseoir sur le rebord d'une telle fenêtre constituait un danger.
À plusieurs reprises, il avait interdit aux élèves de s'y installer même lorsqu'elles étaient fermées. Il avait, au premier trimestre de l'année scolaire, mimé avec les enfants une scène de chute en leur expliquant les risques et dans quelles conditions la chute pouvait se produire si l'un d'eux assis au bord était bousculé.
Or, en l'espèce, même si tout se déroulait dans des conditions normales, le fait que les enfants soient autorisés à circuler plus encore que de coutume pouvait faire apparaître le risque d'une bousculade.
Dans ces conditions, l'enseignant n'a pas accompli les diligences normales qui lui incombaient compte tenu de sa mission, de ses fonctions et de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. Il a commis une faute d'imprudence ou de négligence caractérisée qui a exposé la jeune élève à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer.
Il est donc coupable pour des faits qualifiés « d'homicide involontaire » : la peine est de 5 mois de prison avec sursis.
• L'arrêt d'appel : confirmation de la condamnation de première instance
Les parties font appel et l'enseignant demande à la cour d'appel l'infirmation du jugement de première instance. L'enseignant insiste sur les faits suivants :
- la preuve n'était pas rapportée qu'il ait violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence et de sécurité prévue par la loi et le règlement,
- il n'avait pas conscience d'exposer la jeune élève à un accident en laissant une fenêtre ouverte et ne pouvait penser que l'enfant, à l'encontre des avertissements répétés, passerait outre ou les oublierait,
- il n'a pas commis de faute caractérisée.
La cour, au contraire, souligne que l'enseignant avait à ce point conscience du risque de chute couru par les enfants qu'il avait, à l'occasion d'activités scolaires baptisées « Quoi de neuf », appelé l'attention des enfants sur l'existence de ce danger.
La circulaire du 6 juin 1996 rappelle dans son article 5 que la surveillance des enfants doit être continue et leur sécurité constamment assurée « en tenant compte de l'état et de la distribution des locaux et de la nature des activités proposées ».
Les magistrats rappellent les circonstances suivantes :
- l'enseignant connaissait la dangerosité résultant de l'ouverture des fenêtres et la probabilité d'un accident était plus grande encore le 20 décembre 1996 que les autres jours en raison des circonstances festives.
- la décision prise par la jeune élève d'aller s'asseoir ne peut être mise sur le compte d'une désobéissance, mais sur la liberté de mouvement consenti par l'enseignant à ses élèves.
- au rang des obligations essentielles incombant aux enseignants figure celle d'assurer la sécurité et la surveillance des élèves qui leur sont confiés.
- il ne peut être, à l'évidence, exigé d'eux qu'ils soient présents à tous les instants, mais il est nécessaire qu'ils exercent une surveillance effective, vigilante pendant la totalité du temps scolaire et s'assurent que toutes les conditions de sécurité soient réunies.
En omettant de procéder au retour des élèves dans la salle de classe et en ne rétablissant pas les conditions de sécurité qu'il leur avait jusque-là garanties, générant un risque majeur dont il avait conscience, il a commis une faute caractérisée.
Sa culpabilité a été confirmée.
Source : Cour de cassation, chambre criminelle, 6 septembre 2005.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II, mise à jour mai 2012.