Pour tenter d'évaluer le nombre et la place des accidents dans la vie scolaire, deux sources existent : le rapport du groupe de travail sur la responsabilité civile des membres de l'enseignement, commun aux ministères de la Justice et de l'Éducation nationale, et les rapports annuels de l'Observatoire National de la sécurité des établissements scolaires, qui depuis sa création, en 1995, conduit une étude permanente sur les accidents corporels dont sont victimes les élèves et les étudiants au cours de leurs activités scolaires et universitaires.
Pour l'Observatoire, est considéré comme accident, tout évènement ayant eu comme conséquence au moins une hospitalisation ou un acte médical (consultation, soin, radiographie, etc.).
En ce qui concerne l'enseignement primaire, ce sont les inspections académiques qui saisissent les déclarations transmises ensuite par voie informatique.
À l'école élémentaire les accidents scolaires sont enregistrés :
- pour 56 % lors d'une récréation,
- pour 16 % lors des cours d'éducation physique et sportive,
- pour 11 % lors des entrées et des sorties de cours,
- pour 9 % pendant les activités pédagogiques (autres que l'éducation physique et sportive),
- pour 6 % lors la restauration ou pendant une récréation au moment du déjeuner.
Il semble, à la lecture de ces chiffres, que c'est lors des récréations que se produisent le plus d'accidents scolaires, et même s'ils sont beaucoup moins nombreux, des accidents arrivent en classe. Nous verrons par ailleurs, dans une prochaine fiche de cette rubrique, que l'entrée et la sortie des classes, sont des moments également accidentogènes qui demandent une vigilance accrue de la part des enseignants.
Les faits
Un jour du mois de décembre, alors que le jeune C. se trouvait en classe, il a eu les deux doigts de la main droite sectionnés à la suite de la fermeture intempestive d'une porte par un autre élève.
Après expertise médicale, il est établi que l'accident a occasionné une fracture ouverte des phalanges distales des 3e et 4e doigts de la main droite se traduisant pour le jeune élève de CM2 par une incapacité totale de travail de 24 jours, par une incapacité partielle de 50 % pendant trois mois, enfin par une incapacité partielle permanente de 4 %.
Le jugement
Sont assignés l'Institution (établissement privé sous contrat d'association avec l'État), les parents de l'élève qui a refermé la porte et l'État (substitué à l'enseignant), sur le fondement de l'article 2 de la loi du 5 avril 1937.
*Les parents sollicitent la condamnation de l'Institution sur le fondement de l'article 1147 du Code civil en estimant que celle-ci a manqué à son obligation de sécurité, et la condamnation de l'État sur le fondement de l'article 1384 alinéa 6 du Code civil et de la loi du 5 avril 1937 en raison de la faute commise par le professeur des écoles.
*L'Institution conclut au rejet des prétentions des parents de la victime estimant qu'ils ne rapportent pas la preuve d'une faute dans l'organisation de la discipline générale de l'établissement.
*M. le Préfet des Bouches-du-Rhône considère que les parents ne prouvent pas qu'une faute commise par l'enseignant est à l'origine du dommage.
Sur la responsabilité contractuelle de l'Institution :
Celle-ci, en tant qu'établissement scolaire, est contractuellement tenue d'assurer la sécurité des élèves qui lui sont confiés ; elle est responsable des dommages causés aux élèves par sa faute ou encore par le fait des choses qu'elle met en œuvre.
L'obligation de sécurité mise ainsi à la charge de l'Institution, est une obligation de moyens, s'agissant d'assurer la sécurité d'enfants, dont le comportement peut influer sur l'exécution des prestations offertes. Il appartient, dans ce cas, aux parents d'apporter la preuve d'un manquement à cette obligation.
Les circonstances de l'accident survenu ne sont pas contestées : il apparaît que l'enfant a eu les doigts de la main droite, pris dans une porte refermée intempestivement par un autre élève à la demande du professeur.
C'est bien l'action du jeune élève sur la porte qui est à l'origine du dommage. Il n'est pas démontré que les causes de l'accident soient dues au caractère défectueux du système de fermeture de la porte ou à une quelconque dangerosité présentée par celui-ci. La mise en place d'un système de fermeture propre à ralentir le mouvement de la porte, s'il eût effectivement empêché l'accident, n'apparaît pas comme une nécessité imposée à l'établissement scolaire. En effet cette obligation consiste à s'assurer que son organisation et ses infrastructures sont adaptées à l'accueil et à l'enseignement d'élèves dans des conditions normales d'utilisation et de fréquentation.
Or les parents de la victime ne prouvent pas que la porte de la classe et son système de fermeture soient inadaptés, voire dangereux lors d'une manipulation normale pour des élèves de cet âge (CM2).
Par conséquent il ne résulte pas des circonstances de l'accident qu'un manquement à son obligation de sécurité puisse être reproché à l'Institution et en l'absence de tout autre élément, sa responsabilité ne peut être retenue.
Sur la responsabilité de l'État substituée à celle de l'enseignant (loi du 5 avril 1937) :
La responsabilité de l'État substituée à celle de l'enseignant ne peut être reconnue que si une faute de l'enseignant est prouvée. Les circonstances de l'accident découlent de la déclaration rédigée par le chef d'établissement ; elles sont parfaitement claires et identifiées et il apparaît que ce dernier s'est produit à la suite de la fermeture de la porte par un autre élève, consigne donnée par l'enseignant.
C'est bien l'action de cet élève qui a causé la survenance du dommage mais cet acte ne résultait pas de sa propre initiative : il est établi que c'est l'enseignant qui lui a donné la consigne de fermer la porte.
Il entre dans les fonctions de surveillance et de direction de la classe à la charge de l'enseignant de s'assurer du déroulement de son cours dans des conditions maximales de sécurité pour ses élèves. Il appartenait, en conséquence, au professeur des écoles de vérifier que l'ordre donné pouvait s'exécuter en toute sécurité sans faire courir de risques aux élèves placés à proximité.
En ne s'apercevant pas que le jeune C. se trouvait à côté de la porte au moment où il donnait la consigne de la fermer, l'enseignant a manqué à son devoir de surveillance et commis une faute.
La responsabilité de l'État se trouve engagée par application de l'article 2 de la loi du 5 avril 1937.
Si l'on ne prend en compte que les accidents d'une certaine gravité (ceux ayant entraîné une hospitalisation supérieure à 48 heures), ils ne représentent que 1,5 % des accidents pour l'enseignement du premier degré. Il faut également noter que 1 accident sur 400 seulement, semble être à l'origine d'une décision des tribunaux judiciaires.
En outre pour les tranches d'âge concernées par la scolarité primaire, les accidents domestiques représentent 58 % des accidents de la vie courante alors que les accidents scolaires ne touchent que 8 % des élèves.
Il s'agit toujours dans notre propos d'analyser pour mieux prévenir, c'est-à-dire d'aider les enseignants à se remémorer des règles de base d'une prévention efficace, de proposer les solutions qui émergent des décisions de justice.
Nous sommes tous appelés à la plus grande vigilance sur l'apprentissage du « vivre ensemble » et à faire en sorte que l'école soit aussi un lieu de sensibilisation et de prévention des accidents. Les enseignements que l'on peut tirer des affaires analysées sont des points d'appui pour prendre conscience des risques et envisager des solutions pour les faire diminuer.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.