L'observation du milieu naturel, la découverte d'œuvres artistiques, de milieux de vie et de cultures différentes impliquent l'organisation de sorties et de voyages durant le temps scolaire. Outre que de telles activités permettent d'accroître la motivation et l'implication des élèves, elles enrichissent la vie scolaire d'une expérience de groupe différente de celle connue à l'intérieur de l'établissement. Pour toutes ces raisons elles constituent une des formes de l'activité d'enseignement.
Nous commencerons par l'analyse détaillée d'un cas d'espèce, avant d'aborder dans les commentaires, d'autres cas ayant eu ou non pour conclusion la mise en cause de la responsabilité de l'État substituée à celle de l'enseignant.
Les faits
Le 22 mars 1996, peu avant le dîner, un chahut s'est organisé dans la chambre occupée par plusieurs enfants de l'école P. qui se trouvaient en classe de neige. À l'occasion de l'agitation ambiante, un jeune garçon, qui s'était suspendu à une poutre, a lâché prise, en tombant de tout son poids sur un autre élève qui était allongé au sol et dont la tête a alors heurté le parquet. À la suite de cette chute ce dernier a eu deux incisives cassées.
La procédure
Les parents du jeune élève blessé ont assigné l'État français, représenté par M. le Préfet du département. Ils considèrent qu'il y a eu là un défaut de surveillance caractérisé imputable aux enseignants à qui avaient été confiés les enfants et s'estiment fondés à réclamer une indemnisation.
Le préfet, représentant « ès qualités » de l'État français, sollicite la mise hors de cause des enseignants en soulignant que l'obligation de surveillance est une obligation de moyens et qu'il n'est nullement prouvé que ces derniers aient manqué à leurs obligations.
Sur la responsabilité : le rapport d'accident établi par les professeurs des écoles et repris par le directeur du centre ne présente qu'un intérêt limité puisqu'il est constant qu'aucun adulte n'a été témoin des faits.
En réalité, il ne peut être reproché une faute de surveillance à qui que ce soit, aucun enseignant n'étant présent dans la chambre ce soir-là.
Pourtant ces derniers, dans leurs propres déclarations, avaient été amenés à intervenir à plusieurs reprises pour demander aux enfants de se calmer.
Les deux adultes indiquent par ailleurs qu'il y avait des enfants turbulents dans cette chambre et que des interventions régulières avaient été nécessaires depuis le début du séjour pour rétablir l'ordre.
Néanmoins, aucun des deux encadrants ayant en charge la surveillance d'enfants seulement âgés de neuf ans, n'a cru devoir prendre les précautions nécessaires pour limiter les risques de débordement, alors même que leur attention avait été précisément attirée sur ce groupe d'enfants.
Par conséquent, le tribunal considère qu'il existe là une faute de surveillance et condamne M. le Préfet, dont la responsabilité se trouve substituée à celles des enseignants, à réparer les conséquences dommageables de l'accident dont a été victime le jeune élève.
Commentaires
Les études menées ces derniers mois sur les sorties scolaires avec nuitées (c'était le cas ici), ont fait apparaître la nécessité de redonner à celles-ci un élan à la mesure des bénéfices que les élèves peuvent retirer de ces expériences pédagogiques.
Il importe donc de tenir le plus grand compte du choix du lieu, de la détermination du nombre et de la qualification des accompagnateurs, mais aussi des consignes données aux élèves… et de leur compréhension par ces derniers.
Malgré toutes les précautions prises, l'accident peut arriver et nous allons constater que les raisonnements qui sont tenus par les juges dans les cas de figure suivants sont ceux du bonus paterfamilias.
Dans le premier exemple, la responsabilité de l'État substituée à l'enseignant n'est pas retenue, dans le deuxième, le tribunal a au contraire estimé que l'enseignant, ne s'était pas comporté en « bon père de famille ».
Premier cas
Au cours d'une sortie organisée par l'école, après le moment du déjeuner, des élèves du cours préparatoire sont autorisés à utiliser les ressources attractives du parc dans lequel se déroule cette journée de fin d'année, ceci sous la surveillance des quatre enseignants qui accompagnent les enfants.
L'un d'entre eux chute du toboggan et présente des blessures graves (traumatisme crânien et fracture des deux os de l'avant-bras).
Le père de la victime reproche aux enseignants d'avoir commis une faute de surveillance en ne surveillant pas la passerelle du toboggan ; or la place qu'occupait le professeur des écoles au pied de ce toboggan ne lui permettait pas d'intervenir en cas de danger, alors même qu'à un endroit les rambardes de protection étaient de faible hauteur.
Mais le tribunal constate qu'il n'est pas établi qu'une utilisation d'interdiction du toboggan par des enfants de moins de 8 ans ait été notifiée.
L'enseignante n'a donc commis aucune faute tant au regard de la surveillance que de la réglementation.
En appel la cour va jusqu'à préciser qu'à moins de suivre l'enfant sur le toboggan, un enseignant, quel que soit son emplacement, ne pouvait stopper une éventuelle chute. Elle a pu également quitter momentanément des yeux le jeune garçon, puisqu'elle surveillait aussi d'autres enfants du même âge.
La responsabilité de l'État substituée à la sienne ne peut être retenue.
Deuxième cas
Le premier jour d'une sortie d'une classe de mer, une élève chute sur le bras gauche, chute qui provoque une fracture du coude.
Le lendemain de l'incident, les personnels d'encadrement sollicitent les maîtres nageurs afin de vérifier l'état du coude de la jeune élève et rien n'est réellement décelé.
En dépit de la persistance de ses plaintes, aucun médecin n'est appelé pendant les quatre jours suivants.
La mère de la victime assigne le Préfet (substitution de l'État aux enseignants), non pour faute de surveillance au moment de l'accident, mais pour faute de négligence. En effet, le tribunal constate que la blessure nécessitait pour le moins un bandage et était suffisamment douloureuse pour empêcher l'élève d'utiliser son bras gauche.
Celle-ci aurait dû être examinée beaucoup plus vite par un médecin, en réalité tout de suite après la chute, afin que la nature et l'importance de ses blessures soient déterminées avec exactitude et que des soins adaptés lui soient prodigués. Une faute de négligence a été ici commise, qui a eu pour effet de prolonger ses douleurs et de retarder la réduction de la fracture.
Le tribunal a considéré que l'enseignant responsable de cette classe ne s'était pas comporté en « bon père de famille ».
La responsabilité de l'État substituée à l'enseignant est reconnue.
Apprendre, c'est prendre des initiatives, découvrir des situations nouvelles, voire courir des risques : l'éducation doit donc inclure aussi l'apprentissage puis la maîtrise des situations nouvelles.
Ces situations sont vécues par des enfants qui sont confiés à des enseignants : ces derniers sont responsables des premiers et ne sauraient se désintéresser ce qui peut leur arriver.
Quelle que soit l'approche, la plus précautionneuse possible, les risques subsistent, même… pour ceux qui prônent l'immobilisme en matière d'initiative pédagogique et éducative. Il semble qu'il soit plus sage de réfléchir préalablement au comportement à tenir que de croire que l'inaction est la meilleure des préventions, ou au contraire qu'une accumulation de démarches préventives pourrait permettre de ne pas avoir à affronter difficultés et accidents.
On est au demeurant frappé la plupart du temps, de la très grande attention portée par les magistrats aux circonstances, afin de bien distinguer les objectifs et les modalités de mise en œuvre, de rechercher le bien fondé des méthodes retenues et des choix qui sont faits.
Enfin, pour aider tous ceux qui organisent ces sorties dont l'intérêt n'est plus à démontrer, il sera utile de se reporter à la circulaire n° 2005-001 du 5-1-2005 intitulée Séjours scolaires courts et classes de découvertes dans le premier degré.
Ce texte fixe les aspects communs à tous les types de sorties scolaires, propose des recommandations pour leurs mises en œuvre, précise le rôle du professeur des écoles et du soutien qui lui est apporté, mais aussi celui des autorités de tutelle.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.