II. 1. Les obstacles à la communication
Les finalités éducatives de l'école diffèrent quelque peu selon que l'on se place du point de vue des enseignants ou de celui des parents, notamment de milieu populaire. Les parents sont plus attachés à des finalités utilitaires, comme la préparation à la vie professionnelle, et les enseignants à des compétences cognitives, comme le développement de l'esprit critique.
Suivant une logique prioritaire de transmission des savoirs, l'école est en effet centrée sur les apprentissages dans une direction unidimensionnelle, alors que l'épanouissement de l'enfant est sinon prioritaire, du moins aussi important pour les familles. Les valeurs divergent donc en partie : l'école privilégie la dimension collective, et les parents la dimension singulière. Selon le rapport n°2006-057 de l'Inspection générale de l'Éducation nationale sur la place et le rôle des familles, « l'extra-territorialité de l'école et une certaine idée de la laïcité sont toujours très largement considérées comme porteuses d'un idéal de progrès et de libération, ainsi que d'un savoir émancipateur qui préserve l'élève, le maintenant loin des instances économiques et du profit aliénant. Mais, pour les parents, comment conjuguer cela avec l'enjeu d'insertion et d'entrée dans la vie active qu'ils assignent désormais à l'école ? ».
Il s'agit dès lors de construire des valeurs communes entre l'école et les parents pour créer un espace commun de collaboration. Or, ni la famille ni l'école ne sont programmées pour cela. Les obstacles aux rapprochements sont encore nombreux. Pour l'institution scolaire, il ne s'agit plus de traiter des flux d'élèves (pré-)sélectionnés, mais de gérer des générations entières d'enfants. Et l'école ne peut plus garantir à l'élève ni la promotion sociale, ni même le maintien dans sa catégorie socioprofessionnelle d'origine, comme le montre la sociologue Marie Duru-Bellat dans L'Inflation scolaire : La désillusion de la méritocratie (2006). De plus, selon Cléopâtre Montandon et Philippe Perrenoud, la division du travail éducatif crée entre la famille et l'école un système d'interdépendance et de communication. Parents et enseignants se surveillent mutuellement. Ils concertent parfois leurs attitudes éducatives, ils s'ignorent en d'autres occasions ou pratiquent un « dialogue de sourds », les attentes divergeant souvent. En cas de conflit, chacun sera tenté de rejeter la responsabilité sur l'autre, accusé de « ne pas jouer le jeu ».
Les obstacles tiennent aux usages sociaux différentiels des règles et des normes : les règles de fonctionnement de l'école ne sont pas toujours comprises par les familles. D'ailleurs, la perception de la division du travail entre l'école et la famille varie selon les groupes sociaux. Dans les classes moyennes et supérieures, on pense que l'éducation des enfants nécessite un travail en commun entre les enseignants et les parents. Mais, dans les familles les plus démunies, l'école est perçue comme une unité distincte, nettement séparée de la sphère familiale. Cette perception est d'ailleurs renforcée par l'inadaptation de l'institution à ces nouveaux publics. Les travaux du sociologue Daniel Thin montrent combien le rapport à l'école, à l'institution, aux enseignants, est médiatisé dans les familles modestes par des logiques scolaires non maîtrisées, un décodage difficile des attentes de l'institution et des enseignants. Il existe une connivence tacite entre les parents de milieux sociaux favorisés et l'école, qui facilite le partage des implicites de la communication, dont les familles culturellement modestes ne disposent pas. Ainsi, les décisions de l'école concernant les élèves ne sont pas toujours comprises, souvent contestées en fonction d'une « logique de l'honneur » que l'école ne peut elle-même décoder, certaines familles rejetant toute forme de sanction : notes, punitions souvent considérées comme injustes. Mais les enseignants – eux-mêmes insuffisamment formés aux savoirs sociologiques, à la formation transversale et à la philosophie du système éducatif – ont peu de connaissances pour gérer ces attentes différentielles. Ils vivent alors souvent ces cas de figure comme une remise en cause de leur autorité, de leur savoir, de leur fonction sociale. Sans compter que, comme le développe Philippe Perrenoud, la frontière est mince entre le droit des parents à l'information et le risque, au nom de ce droit, d'une ingérence abusive et contre-productive dans l'action professionnelle des enseignants…
II. 2. Mesures de rapprochement
Des dispositions et des pratiques sont ainsi mises en œuvre pour rapprocher l'école et les familles. Le CPE, entre autre acteur, a son rôle à jouer, notamment en termes de communication à l'égard des familles. Dans les établissements, certaines mesures sont susceptibles de rapprocher l'école et les familles afin de renforcer l'égalité des chances de réussite scolaire de tous les élèves.
De nombreuses circulaires et notes de service ont souligné l'importance d'un renforcement du dialogue entre l'école et les familles. Une circulaire de juillet 1985 a rappelé l'opportunité de diverses initiatives, telles que les journées portes ouvertes. La note de service du 14 mars 1986 a posé le principe de rencontres trimestrielles entre les enseignants et les parents d'élèves. Une circulaire de 1996 a souligné l'intérêt d'une étroite association des familles à la vie des écoles et établissements pour lutter contre la violence en milieu scolaire. Une note de service de 1999 a envisagé l'organisation de manifestations comme celle de la semaine des parents à l'école… Une circulaire interministérielle du 9 mars 1999 a créé les réseaux d'écoute, d'appui et d'accompagnement des parents (Réaap) et défini les principes à mettre en œuvre pour valoriser au mieux leurs interventions. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées fait obligation d'associer étroitement les parents des élèves handicapés à toutes les étapes de la définition du projet personnalisé de scolarisation.
Tous ces textes participent d'une même logique que rappelle la circulaire du 3 mai 2001, relative à l'intervention des associations de parents d'élèves dans les établissements scolaires : « La régularité et la qualité des relations construites par les personnels de direction, d'éducation et d'enseignement avec les parents d'élèves, constituent un élément déterminant dans l'accomplissement de la mission confiée au service public de l'éducation. L'obligation faite à l'État de garantir le respect de l'action éducative des familles conduit notamment à une démarche d'éducation partagée et requiert de soutenir et renforcer le partenariat nécessaire entre l'institution scolaire et les parents d'élèves, légalement responsables de l'éducation de leurs enfants. » La circulaire de rentrée 2007 précise que la réussite de tous les élèves est une priorité du système éducatif et que l'égalité des chances suppose l'implication des parents dans l'école à tous les niveaux de la scolarité de leurs enfants. Selon ce texte, il convient de mettre en œuvre des dispositions facilitant l'accès de l'école à chaque famille, notamment en informant les parents sur le fonctionnement de l'école ou de l'établissement : « La qualité de la relation entre l'école et les parents d'élèves contribue en effet largement à une meilleure réussite des élèves. »
L'école doit assurer l'effectivité des droits d'information et d'expression reconnus aux parents d'élèves et à leurs représentants, ainsi que leur participation aux instances collégiales de l'établissement. Elle doit également reconnaître les droits des associations de parents d'élèves. C'est au niveau local de l'école ou de l'établissement scolaire que doit se mettre en place un dialogue confiant et efficace avec chaque parent d'élève. L'ensemble des personnels des écoles et des établissements scolaires sont impliqués dans ces démarches. Certes, une expérimentation comme « La Mallette des parents » montre les effets de synergie que déclenche la venue aux collèges de parents d'élèves sur l'ensemble des établissements. Mais elle se borne à étudier des enfants de sixième dont la socialisation est plus contrôlée que celle des adolescents plus âgés, généralement plus autonomes. Surtout, pour que cette relation puisse être effective, il faut mesurer la distance entre l'école et les familles, objet d'étude des sociologues.
La massification scolaire a changé les règles du jeu. Les familles sont inégales face à un système scolaire transformé en « marché » au détriment des classes populaires scolairement démunies. Pour François Dubet, deux idéaux types de rapports familiaux à l'école s'opposent : dans les familles populaires, les parents évitent l'école, par crainte d'être jugés en tant que parents ou anciens élèves en échec scolaire ; les familles favorisées – dotées d'une bonne connaissance de l'institution et des implicites sociaux de la réussite scolaire, et qui privilégient la performance et l'épanouissement – interviennent fréquemment, et le plus souvent en continuité avec l'école. Mais rien n'est simple dans la réalité scolaire. Ainsi, dans Écoles et savoirs dans les banlieues et ailleurs (1993), les spécialistes des sciences de l'éducation Bernard Charlot, Élisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex montrent qu'une histoire scolaire n'est pas jouée d'avance en fonction des origines sociales des élèves – malgré la tendance générale des statistiques à associer origine sociale et réussite scolaire. Le parcours scolaire d'un élève est marqué par des rencontres, des affects, des relations avec les tiers (enseignants, CPE, amis, familles). Les dispositions qui visent à rapprocher les familles de l'école prennent donc là toute leur importance, et, notamment, les dispositifs de communication entre école et famille dont le CPE peut être acteur.
Le CPE peut en effet jouer un rôle clé dans la relation entre les familles et l'établissement, même s'il n'en est pas l'acteur exclusif. Il doit contribuer à placer les élèves dans les meilleures conditions de scolarité possibles. Il est un acteur clé de médiation entre l'école et les parents : il est le garant du respect de la loi et de la règle par le contrôle de l'assiduité scolaire, l'application du règlement intérieur. Trois domaines prioritaires d'action décrits dans la circulaire du 28 octobre 1982 caractérisent sa mission : le contrôle de l'assiduité en collaboration avec les autres personnels enseignants, le suivi des élèves (comportements et résultats scolaires) et l'animation éducative. Or, dans ces trois tâches, la collaboration et la communication avec les familles sont essentielles.
En matière d'absentéisme, le CPE recueille les informations, en informe les familles et prend les mesures nécessaires lorsque les absences sont répétées. Mais ces mesures ne peuvent se réduire à des sanctions. Il faut d'abord tenter de comprendre les facteurs explicatifs de cet absentéisme, à un âge délicat, l'adolescence, où la nécessité de tester les repères collectifs et la quête de limites, l'opposition aux représentants adultes de l'autorité sont féconds pour le développement psychique de l'individu, mais compliqués pour l'institution scolaire. En outre, pour que les mesures aient une visée éducative ou préventive, il faut qu'elles soient vécues comme justes, le CPE étant le garant d'un ordre scolaire collectivement juste. C'est donc au CPE de dialoguer avec les élèves et leurs familles, en concertation avec les enseignants, éventuellement l'assistant social ou les personnels de santé si nécessaire. Il peut faciliter le dialogue parfois difficile, permettre la coopération entre les membres de la communauté éducative en gestation. Ne serait-ce que parce qu'il est capable de mettre au jour les zones de « conflit potentiel » qu'il s'agit de pacifier, par des compromis et des règles du jeu. Dans le suivi et l'accompagnement du travail de l'élève, le travail du CPE nécessite de même non seulement une action concertée avec les enseignants, mais aussi une collaboration avec la famille. L'ouverture de l'école suppose de partager le savoir et les savoir-faire, et le CPE peut être acteur de ce partage, en tant qu'élément moteur du lien entre école et famille.
Il peut, s'il est au fait des déterminants socioculturels de la communication, décrypter les règles du jeu scolaire pour les familles, expliquer les modalités d'apprentissage et de soutien familial à la scolarité de l'élève, faciliter la mise en mots des difficultés scolaires. La scolarisation croissante d'élèves de milieux sociaux hétérogènes rend indispensable un décodage de l'implicite de la relation pédagogique, pour des élèves qui ne disposent pas de prérequis familiaux du rôle d'élève : au cours d'un processus d'explication de la logique scolaire, le CPE peut être l'interprète des attendus de l'institution scolaire auprès des familles éloignées d'elle. Car l'institution scolaire produit elle-même des handicaps dans sa façon de traiter les enfants des familles populaires ; le CPE peut réduire la distance culturelle en analysant ce que Bernard Charlot nomme le « rapport au savoir » des élèves, non seulement les manques, mais aussi les ressources dont ceux-ci disposent afin qu'ils « se mobilisent ». Or, pour que les élèves se mobilisent, il faut que la situation présente pour lui du « sens » : c'est à la co-construction du sens avec les familles que le CPE peut œuvrer. De plus, chaque élève est singulier, chaque élève est aussi une personne, et le diagnostic que le CPE peut permettre des situations scolaires de chaque élève est premier.
Mais pour une action efficace, le CPE doit mobiliser des acteurs pluriels ; il n'est pas l'acteur exclusif de la réussite des élèves. Tout d'abord, s'il dispose d'une bonne connaissance des élèves et de l'institution, c'est parce qu'il participe à toutes les instances de l'établissement (conseil de classe, conseil des professeurs, conseils des délégués, conseil d'administration, commission permanente, commission d'hygiène et de sécurité par ses représentants) et donc aux dispositifs d'accompagnement du travail des élèves, de prévention des conduites à risque, mais aussi de loisirs : dans sa fonction d'animation éducative, le CPE organise le temps de loisirs (foyer socio-éducatif, activités culturelles) et, par là-même, induit une autre relation avec les élèves. Par la transversalité de son action auprès de l'équipe pédagogique et éducative, il développe des modes de collaboration efficaces avec les enseignants, mais aussi avec tous les personnels et partenaires dans un esprit de dialogue, de reconnaissance du rôle de chacun.
Certains partenariats peuvent porter sur des opérations ponctuelles : une démarche de projet menée en classe ou un voyage nécessitant la coopération des parents et des enseignants ; d'autres peuvent être plus structurels. Mais, chaque fois, il faut trouver des régulations des espaces de dialogue distinctes, à condition que les différents acteurs ne se neutralisent ni ne se dénigrent réciproquement. Le CPE travaille donc à ce que Philippe Perrenoud nomme « un développement durable ». Par un dispositif partiellement indépendant des personnes qui l'habitent, le CPE peut être garant de la continuité du partenariat, œuvrant pour une solidarité entre parents, enseignants et autres partenaires, imaginant des médiations en cas de conflit ou de blocage du partenariat.