Les sorties éducatives, encore appelées classes de découverte, font aujourd'hui partie intégrante de l'enseignement et les déplacements structurés à cette fin sont organisés dans l'intérêt pédagogique des élèves.
L'affaire du Drac, affaire dramatique, est encore présente dans les esprits et son évocation est d'autant plus porteuse sur le plan juridique, qu'elle a connu son dénouement judiciaire en pleine période de mutation liée à l'adoption et à l'entrée en vigueur de la loi du 10 juillet 2000 (dite loi Fauchon, loi sur les délits non intentionnels).
Les faits
Le 4 décembre 1995 en début d'après-midi, 22 élèves avec leur institutrice et une accompagnatrice cheminaient sur le lit du Drac, pour aller observer l'habitat des castors dans le site de la Rivoire.
Après avoir traversé à gué une partie de la rivière, en passant sur des gravières, en franchissant des bras à sec et après avoir atteint la rive gauche (endroit où les animaux avaient laissé des traces de leur présence), le groupe rebroussait chemin lorsque sa retraite a été coupée par la montée des eaux.
D'emblée le courant a bousculé les enfants âgés pour la plupart de 7 à 8 ans. Voyant que les premiers étaient emportés par le flot auquel ils ne pouvaient résister, l'accompagnatrice s'est élancée pour les retenir mais fut elle-même entraînée. L'institutrice, quant à elle, réussit à rattraper les autres élèves.
Six élèves décédèrent, ainsi que l'accompagnatrice de la ville de Grenoble.
Première étape : les condamnations
T.G.I Grenoble, 15 septembre 1997 et C.A Grenoble, 12 juin 1998.
Nous différencierons à chaque fois les décisions s'appliquant à l'institutrice et celle s'appliquant à la directrice de l'école.
Décision relative à l'institutrice
Lorsqu'un intervenant extérieur vient se joindre à un enseignant dans une activité scolaire, il lui appartient de s'assurer non seulement de l'organisation pédagogique de la séance mais également du contrôle effectif de son déroulement.
Il en découle qu'il soit à même de constater que les conditions de sécurité ne sont manifestement pas ou plus réunies et de suspendre ou d'interrompre immédiatement l'activité.
D'autre part, toute personne qui doit assurer la responsabilité d'une activité à raison de ses fonctions (ici l'institutrice) doit se donner les moyens de pouvoir apprécier objectivement les risques que cette activité est susceptible d'entraîner.
Cette obligation de vigilance est encore plus exigeante lorsque sont en cause de jeunes enfants, confiés par leurs parents à un établissement d'enseignement.
En l'espèce, l'institutrice ne saurait être fondée à se prévaloir de son manque de connaissance des pièges alors que les activités projetées dans un lieu particulier (promenade dans le lit d'une rivière) pouvaient entraîner des dangers pour les jeunes enfants dont elle avait la charge.
En réalité, son ignorance procède de sa négligence dans la préparation de son projet pédagogique.
Le tribunal prononce sa culpabilité.
Décision relative à la directrice
La directrice a fait preuve de négligence en n'assistant pas ou en ne déléguant personne pour assister au départ d'une classe de découverte.
Elle a agi de manière administrative et non concrète en refusant par principe, la participation des parents au motif que tout était pris en charge par la ville, alors qu'elle ne s'était pas elle-même, assurée personnellement de la réalité de cette prise en charge.
Le tribunal prononce sa culpabilité.
Deuxième étape : application de la loi du 10 juillet 2000 (loi Fauchon)
Cass., crim., 12 décembre 2000.
Décision relative à l'institutrice
Les dispositions de la loi nouvelle (loi Fauchon) s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée, lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.
Par conséquent l'institutrice ne peut être condamnée pour blessures et homicides involontaires que :
- si elle a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou,
- si elle a commis une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer.
Il en est de même pour la directrice.
En conséquence la décision de la Cour d'appel de Grenoble, est « cassée » et l'affaire est renvoyée devant la Cour d'appel de Lyon (appelée Cour de renvoi).
Troisième étape : relaxe de l'institutrice et de la directrice
C.A Lyon, 28 juin 2001.
Décision relative à l'institutrice
la cour a considéré que l'institutrice avait accompli les diligences normales d'une institutrice soucieuse de ses devoirs, compte tenu de la nature de ses missions et de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont elle disposait.
En effet :
- elle bénéficiait d'une autorisation délivrée en toute connaissance de son projet par l'inspecteur d'académie,
- elle adhérait à un véritable service public organisé et dirigé par la ville fonctionnant à la satisfaction de tous depuis des années,
- elle avait reçu avant son départ en classe hors de l'école, la dirigeante du centre agréé correspondant au site choisi, et avait envisagé avec elle les conditions du séjour et les possibilités d'activités,
- elle s'était entretenue avec une collègue l'ayant précédé sur le site sans que celle-ci lui signale aucune anomalie.
Les griefs d'impréparation, de manque de curiosité et de passivité formulés contre elle sont parfaitement injustifiés.
De plus le reproche fait au cours des débats, de ne pas avoir fait l'acquisition d'une carte détaillée et de n'avoir pas fait une étude approfondie des lieux, manifeste le plus total irréalisme dans la mesure où l'on évoque les diligences normales d'une institutrice et non celles d'un officier d'état-major.
Décision relative à la directrice
La directrice d'un établissement scolaire a pu, avec l'autorisation de l'inspecteur d'académie, confier une classe de son école au service public géré et animé par la ville, sans avoir à assister ou à se faire représenter au départ de la sortie.
Quatrième et dernière étape : pourvoi en cassation des parties civiles (parents des victimes) contre l'arrêt qui a prononcé la relaxe de l'institutrice et de la directrice
Cass, crim, 18 juin 2002.
Décision relative à l'institutrice
L'arrêt attaqué rappelle que la seule cause directe du décès de six enfants péris par noyade est un lâcher d'eau effectué sans précaution par des préposés EDF, agissant dans la précipitation résultant d'une situation de grève.
Il est relevé que l'institutrice avait obtenu les autorisations de conduire ses élèves dans le lit du Drac, pour leur faire découvrir l'environnement local avec l'assistance d'une animatrice qualifiée de la ville de Grenoble.
Celle-ci agissait en exécution du service public communal d'animation des classes de découverte suivies par les enfants des écoles primaires publiques et privées pendant le temps scolaire.
L'institutrice n'a pu envisager le risque auquel étaient exposés les élèves et n'a pas commis une faute caractérisée, ni violé une obligation particulière de sécurité et de prudence prévue par la loi et le règlement.
Elle est relaxée comme le sera également la directrice.
Commentaires
Deux questions se posent :
Pourquoi la relaxe ?
En application du nouvel alinéa 4 de l'article 121-3 du Code pénal, la Cour se devait de vérifier si la prévenue, dès lors qu'elle n'est qu'un auteur indirect, avait :
- soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement,
- soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elle ne pouvait ignorer.
La cour de renvoi considère que les diligences normales visées à l'alinéa 3 de l'article 121-3 du Code pénal ont été accomplies, et que l'institutrice n'a pas commis de faute au sens de la loi du 10 juillet 2000.
Alors que cette loi invite les magistrats à ne se prononcer sur la faute qu'après s'être prononcés sur la causalité, la Cour d'appel de Lyon choisit une autre démarche et, curieusement, vérifie d'abord l'accomplissement par l'institutrice des diligences normales, vérification qui porte sur les points suivants :
- s'agissant de la procédure administrative utilisée à tort par les prévenues, celle-ci était en fait imposée par l'Éducation nationale et il ne pouvait donc pas leur être reproché de l'avoir suivie,
- pour ce qui est de l'organisation de la sortie, « il résulte avec évidence que l'institutrice et la directrice n'ont pas eu recours à un intervenant ordinaire (…) mais qu'elles sont devenues usagers d'un véritable service public communal ; ne relevant ni de leur autorité ni de leur contrôle et dont elles étaient légitimement en droit d'attendre un fonctionnement satisfaisant. »(1)
Les magistrats répondent ici à la Cour de cassation : la ville de Grenoble n'a finalement pas été condamnée, car l'animation des classes de découverte entrait dans le service public communal insusceptible de délégation. La Cour d'appel de Lyon reprend l'argument mais cette fois au bénéfice des enseignantes lesquelles étaient par conséquent en droit de bénéficier de ce service public lequel ne pouvait relever ni de leur autorité, ni de leur contrôle. L'intervention des services de la ville pour l'organisation de la sortie est un des arguments forts conduisant à la relaxe.
Y a-t-il faute caractérisée ?
Les considérations de la Cour sur le rôle de l'enseignant organisateur d'une sortie sont certainement de nature à rassurer les collègues : l'institutrice a accompli les diligences normales lui incombant et a fait légitimement confiance à une animatrice expérimentée du service public, « son comportement a été analogue à celui des dizaines de ses collègues ayant effectué la même sortie (…) sans qu'il soit permis de qualifier d'irresponsables, d'incompétents ou d'imprudents ces instituteurs… ». On notera également que la Cour avait bien précisé que seules des diligences normales devaient être exigées « d'une simple institutrice et non pas des diligences relevant de la compétence d'un officier d'état-major… »
L'institutrice n'a pas commis de faute caractérisée.
La manière dont cette affaire a été jugée est de nature à rassurer les enseignants qui hésitent à effectuer des sorties scolaires.
En l'espèce les dangers présentés par le site avaient échappé aux responsables des associations écologiques et de loisirs connaissant parfaitement le lieu et surtout « ils n'étaient pas apparus aux différentes autorités administratives », tant à l'ingénieur de la Direction Départementale de l'Équipement qui avait proposé les travaux d'aménagement, qu'à un ancien préfet du département ou aux maires des deux endroits concernés.
Pour la Cour, affirmer qu'une « simple institutrice, arrivant la première fois sur les lieux, aurait eu l'obligation, pénalement sanctionnée, de prendre d'emblée toute la mesure d'un danger qui depuis des années avait échappé à toutes ces autorités » heurte le bon sens le plus élémentaire.
Dossier réalisé par Frédérique Thomas, professeur agrégée, docteur en STAPS,
Université Blaise-Pascal, Clermont-Ferrand II.